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dimanche 6 novembre 2011

L'anticolonialisme en France sous la Troisième République.

L'anticolonialisme en France
sous la Troisième République




Introduction :

L'histoire coloniale est, en France, sujet à toutes les polémiques et chargée de nombreux aprioris. Ainsi, dans les mémoires collectives, le mouvements anticolonial apparaît bien souvent comme un courant insignifiant, de faible portée, tellement l'adhésion à l’expansion françaises outre-mer semble avoir été forte en métropole durant la période étudiée. Jean-Pierre Biondi en vient d'ailleurs à se poser cette question : L'anticolonialisme a-t-il existé en France ? En effet, s'il est relativement aisé de citer quelques figures emblématiques qui se sont opposées à la colonisation, il est beaucoup moins évident de prouver qu'un réellement mouvement se soit formé et ait pesé dans la vie politique du moment. S'il a divisé quasiment toutes les familles de pensée, l'anticolonialisme n'a jamais formé un seul courant unifié, capable de poser clairement ses revendications. Il est donc difficile à cerner précisément.
Il s'agit ici tout d'abord de bien définir ce qu'est l'anticolonialisme. Cette notion est en fait née dès les premiers pas du colonialisme. Elle englobe toute attitude de contestation de la colonisation pour ce qu'elle entraine de mauvais, d'injuste, et de blessant pour les peuples qui la subissent. Elle peut, le cas échéant, aboutir à militer pour l'indépendance des pays soumis. L'anticolonialisme n'est donc pas systématiquement un rejet complet de la colonisation mais forme surtout une critique des méthodes telles qu'elles sont employées pour y parvenir et la façon dont elle est exercée.
Tout au long de l'histoire de la IIIème République, la question coloniale occupera une place centrale dans les réflexions et projets politiques. Il est possible de dégager plusieurs périodes dans l'évolution du colonialisme, et donc de l'anticolonialisme dans les mentalités du régime. On a dans les premiers temps une certaine indifférence sur la question avant qu'un grand débat soit lancé dans les années 1880 autour de la question des conquêtes de Madagascar et surtout du Tonkin. Mais on voit par la suite un ralliement progressif à ce que l'on appelait alors « la plus grande France » et les contestations vont se faire de moins en moins vives. Il faudra attendre la fin de la Première guerre mondiale pour voir des revendications renaître et grandir dans l'entre-deux guerres.
On cherchera donc ici à déterminer s'il a bien eu un réel mouvement anticolonial en France sous la IIIème République et quels en ont été les acteurs, les grandes idées et les limites.



I/ Les grands acteurs de l'anticolonialisme

    A. L'opposition au régime porte les débuts de l'anticolonialisme

Dés le début des années 1880, c'est-à-dire dès le commencement de l'intervention française en Tunisie, les attaques contre la politique coloniale menée par le gouvernement Ferry se trouvent conjuguées, venant de droite comme de gauche.


    1)    Les conservateurs

Dans les premières années de la IIIème République, en particulier après l'arrivée au pouvoir de Jules Ferry qui affiche clairement ses positions laïques et républicaines, la politique coloniale rencontre l'opposition des milieux conservateurs, en particulier des monarchistes et des cléricaux. Mais ce que ces mouvements de droite critiquent avant tout, c'est le régime en lui même. Le retournement du journal conservateur Le Monde, longtemps en faveur d'une expansion coloniale, est un parfait exemple de cette prise de position.
L'argument principalement avancé contre la politique coloniale républicaine est que la conquête de territoires outre-mer détourne la France de la revanche qu'elle doit obtenir, depuis la défaite de 1870, sur l'Allemagne. Cette critique est tout particulièrement incarnée par Paul Déroulède qui déclare par exemple : « Avant d'aller planter le drapeau français là où il n'est jamais allé, il faudrait le replanter d'abord là où il flottait jadis ».


    1)    Les radicaux

Le parti radical constitue, dans les années 1880, un bastion de l'opposition à la politique coloniale. La condamnation de celle-ci est ainsi inscrite dans son programme d'août 1881 puis dans son manifeste de 1885. L’anticolonialisme des radicaux est en particulier porté par leur groupe à la Chambre, mené par Camille Pelletant, qui intervient en avançant notamment comme argument la fraternité des hommes et le droit des peuples à disposer d'eux-même.
Il faut bien sûr citer ici la figure emblématique de Clemenceau qui va, pendant un moment du moins, apparaître comme le leader de l'anticolonialisme, dénonçant les illusions du rêve colonial qu'il oppose aux réalités de la vie des Français : « Quant à moi, mon patriotisme est en France ».
Cette opposition obtient dans un premier temps certains succès. Sur la question du Tonkin, elle voit Jules Ferry, meneur du parti colonial, démissionner en avril 1885 (on le baptisera dès lors ironiquement « le Tonkinois »). Aux élections législatives, en octobre de la même année, les radicaux faillir même l'emporter à la Chambre, qui voit alors entrer un nombre important de députés opposés à la politique coloniale.


Transition : Mais progressivement, dans la dernière décennie du XIXème siècle, l'idée coloniale va se populariser dans l'opinion publique, phénomène renforcé par les victoires militaires en Afrique à partir de 1890. Sur le plan politique, les radicaux d'abord, puis les milieux de la droite conservatrice ensuite, vont eux aussi faire taire leur opposition sur le sujet. La contestation va dès lors trouver une nouvelle source, essentiellement au sein des milieux de gauche.


    B. La contestation s'encre à gauche

    1)    Les socialistes

Le mouvement socialiste émergeant va donc défendre, à la fin du XIXème siècle, une critique de la politique coloniale qu'il associe en grande partie avec le développement du militarisme et du nationalisme qu'il rejette. Les socialistes perçoivent en fait l’expansion coloniale comme une action bénéficiant essentiellement à leurs pires ennemis que forment la bourgeoisie, le capitalisme et l'armée.
Il faut citer l'action déterminante de Jules Guesde et de son Parti ouvrier français qui dénonce officiellement, lors de son congrès en 1895, « l'une des pires formes de l'exploitation capitaliste ». Les anciens quarante-huitards, déportés en Algérie ou en Nouvelle-Calédonie et ainsi sensibilisés à la question coloniale, ont eu eux aussi leur rôle à jouer, à l'image de Louise Michèle qui publia plusieurs œuvres valorisant la culture indigène.


    1)    Les communistes

L'apparition de l'URSS et de la première Internationale communiste modifie la donne autour de la question coloniale à la sortie de la Première guerre mondiale. La majorité du Parti socialiste français a adhéré à cette Internationale, formant le Parti communiste qui va donner un nouvel élan à l'anticolonialisme.
Ainsi, le IVème congrès de l'Internationale de novembre 1922 posera comme principe que : « Les partis communistes des métropoles doivent profiter de toutes les occasions qui se présentent à eux pour divulguer le banditisme de la politique coloniale de leurs gouvernements impérialistes ainsi que des partis bourgeois et réformistes »
Pour les communistes, le colonialisme s'en prend aux plus faibles, pillant sans aucune légitimité et en dehors de tout cadre juridique des pays sans défense. C'est avant tout le droit des pauvres qu'ils cherchent en fait à faire prévaloir.


Transition : Mais les milieux politiques ne sont pas les seuls à s'être mis en travers du parti colonial. S'il est vrai que peu d'écrivains français se sont, dans ces années, penchés sur la question de la colonisation, que se soit pour la soutenir ou la critiquer, certains artistes et intellectuels méritent toutefois d'être cités.


    C. Une question qui touche également les milieux intellectuels

    1)    Les « ligues »

On voit, sous la Troisième République, naître ou s'épanouir divers mouvements non pas totalement voués à l'action anticoloniale mais qui, de part leurs objectifs et finalités, se retrouvent impliqués dans ce combat. On évoquera ici deux exemples :

    •    La Ligue internationale de la paix et de la liberté, mouvement pacifiste importé des États-Unis. Créée par Frédéric Passy, économiste libéral et humaniste, elle développe l'idée que les Français font aux colonies ce que font les Allemands à l'Alsace et la Lorraine. Elle interviendra notamment à la Chambre en 1884 et 1885 à propos de la guerre au Vietnam.

    •    La ligue des droits de l'homme, créée au moment de l'affaire Dreyfus. Elle a pour but la défense des libertés et des droits individuels. Dans ce cadre, elle est donc amenée à dénoncer les abus et crimes commis dans les colonies. Mais cette critique morale ne remet pas en cause le principe même de la colonisation, elle croit en un idéal d'une colonisation civilisatrice. C'est là l'une des principales faiblesses de l'organisation, qui va d'ailleurs beaucoup diviser ses membres. Ainsi, Félicien Challay, membre de la ligue,  affirme que : « Si vous refusez de condamner le principe de la colonisation, notre Ligue devra changer son titre, devenir la Ligue pour la défense des droits de l'homme blancs et du citoyen français ».


    1)    Différents courants

    •    Le courant orientaliste s'inscrit dans la démarche anticoloniale. En effet, avec le primitivisme, il s'intéresse à la culture indigène, cultivant le goût de la différence. L'un des artiste les plus représentatifs de ce courant fut Étienne Dinent, défenseur des droits des musulmans, qui se fit un ardent combattant des préjugés et idées reçus circulant  en métropole à propos des colonies.

    •    On peut également citer le mouvement de la négritude, qui apparaît à la fin de la période. Il milite pour une réhabilitation des vieilles civilisations noires et de leurs valeurs spirituelles, artistiques ... Il forme un total rejet de l'assimilation culturelle.

    •    Enfin, au niveau littéraire, il n'y a pas de courant proprement anticolonialiste. Ce sont plutôt quelques auteurs qui s'engagent à titre personnel contre la colonisation, tel Gustave Hervé (1872-1944) qui, dans son œuvre La Guerre Sociale, incite les soldats à fraterniser avec les Marocains, ou encore Vigné d'Octon (1859-1943), médecin militaire qui démissionna de la Marine après avoir assisté au massacre commis par les colonnes militaires au Sénégal en 1889 et se lança alors dans une carrière  politique mais aussi littéraire et pamphlétaire.


Transition : Chacun de ces défenseurs de l'anticolonialisme avancent des idées et des arguments divers et multiples, se situant aussi bien sur le plan politique que moral ou économique.


II/ Les arguments avancés

    A. Un coût humain et financier

Ce sont notamment les milieux politiques de gauche qui dénonceront cet aspect de la colonisation, en adoptant le célèbre slogan « Ni un homme, ni un sou ». En effet, c'est, à leur yeux, « l'or et le sang de la France » qui, selon les propos de Frédéric Passy (député de gauche) sont vainement sacrifiés aux colonies


    1)    Niveau économique

De nombreux économistes de la période, dans l'héritage de Jean-Baptiste Say, vont émettre des doutes sérieux sur la rentabilité de l'expérience coloniale.
La première idée avancée est que la colonisation constitue un véritable gouffre pour les finances publiques. En effet, il faut prendre en compte non seulement les frais de la conquête en elle-même mais également ceux, beaucoup plus considérables, qu'entraineront l'administration et l'aménagement des territoires occupés.
De plus, cette importante mobilisation des capitaux va entrainer une augmentation de la fiscalité et donc une forte taxation des produits français qui, de ce fait, s'écouleront moins bien sur les nouveaux marchés ouverts dans les pays colonisés que ceux des concurrents étrangers qui, eux, n'ont pas eu à investir dans la conquête. L’argument des nouvelles débouchées pour la production française,  couramment avancé par les partisans de la colonisation tel Leroy-Beaulieu, est donc ainsi réfuté. Il l'est d'autant plus qu'un certain nombre d'économistes tiennent à souligner que le commerce est beaucoup plus prospère dans des relations de liberté entre différents états que dans les relations coloniales.
La politique coloniale doit donc être condamnée comme une scandaleuse dilapidation de la richesse nationale n'ouvrant aucune perspective réelle de profit. Ainsi, Gustave de Molinari , économiste belge affirme que « De toutes les entreprises de l'état, la colonisation est celle qui coûte le plus cher et qui rapporte le moins ».


    1)    Niveau humain

L'anticolonialisme se fait également l'un des portes-voix de l'antimilitarisme. En effet, de nombreux soldats sont tués aux colonises au moment de la conquête. On envoie au loin, sur des terres hostiles, dans des entreprises de conquête qui paraissent fastidieuses et inutiles, mourir les enfants de la France. C'est en sens que Vigné d'Octon espère voir l'entreprise coloniale s'achever afin de « sauver la vie de nos petits fantassins de marine dont le sang ne cesse d'arroser les terres stériles et maudites ».
De plus, peu de limites sont posées aux militaires mobilisés aux colonies, et l'on constate une recrudescence de la violence au sein de l'armée. On assiste ainsi à des violences, voire parfois des massacres, et certains craignent que, à leur retour, les soldats conservent ces comportements violents.
Enfin, en dehors du cadre purement militaire, un pays comme la France, à la natalité déclinante, ne dispose pas d'un surcroit humain suffisant pour alimenter un véritable courant d'émigration. Et faute d'hommes à exporter, la colonisation ne peut être réellement efficace et tend même à devenir aventureuse et dangereuse.


Transition : On sens bien percer, dans cette dénonciation du militarisme, une critique plus large adressée à l'égard des violences de la colonisation, qui voit bien trop souvent violer et bafouer les droits humains les plus élémentaires.
    B. Une violation criante des droits de l'homme

L'un des arguments de poids de l'anticolonialisme trouve son origine dans la dénonciation des actes de violence que subissent les peuples colonisés, dont quels exemples frappant ont marqué l'opinion publique de l'époque. On peut, à titre d'exemple, citer ici le scandale qui secoua la France coloniale en 1905 au moment de l'affaire Gaud-Touqué. Après l'assassinant d'un Congolais par ces deux fonctionnaires français, une commission d'enquête produit des résultats accablants, révélant au grand jour des actes tels que des incendies de villages entiers, la pratique de séquestrations arbitraires, l'usage de punitions physiques allant même jusqu'à l'assassinant … Clemenceau, dans son célèbre discours de 1885 à l'Assemblée nationale, s'indignera en ces termes : « Regardez l'histoire de la conquête de ses peuples que vous dites barbares et vous verrez la violence, tous les crimes déchaînés, l'oppression, le sang coulant à flots, le faible opprimé, tyrannisé par le vainqueur ! »

L'anticolonialisme dénonce également ce qu'il assimile à un retour de la pratique esclavagiste au travers du travail forcé. Les colonisateurs instituent ce qu'ils appellent les « villages de la liberté », dans lesquels des esclaves sont achetés aux trafiquants africains. Une fois libérés, ces « engagés à temps » sont contraints aux travaux forcés pour le compte des occidentaux. (On a un exemple flagrant de cette pratique au Sénégal)

De plus, le « droit des races supérieures vis-à-vis des races inférieures », énoncé par Ferry  en mars 1884 pour justifier la mission civilisatrice de la France auprès des peuples indigènes, apparaît comme un renoncement aux droits de l'homme qui, dès lors, ne s'appliquent plus à tous les êtres humains. Cette idée de race supérieure divise en effet l'humanité en deux : les Blancs civilisés, qui ont accès aux droits de l'homme, et les indigènes barbares qui eux n'ont pas à les revendiquer. On a là une rupture complète avec la pensée des premiers républicains. Dans son même discours, Clemenceau soulignera d'ailleurs que : « Pour ma part, j'en rabats beaucoup depuis que je vois des savants allemands démonter scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande parce que le Français est d'une race inférieure ».


Transition : La France trahi donc les impératifs des droits de l'homme et de la démocratie en imposant par les armes sa domination à des peuples qui la refusent. La question de cette domination d'un peuple par un autre va poser, sur un plan plus juridique et politique, celle des droits des peuples au niveau international. 


    C. Des enjeux internationaux

    1)    Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes

Des hommes comme Jaurès vont, par exemple, se référer à la grandeur des civilisations pour inciter les Français à cesser de mépriser les populations indigènes. Les anticolonialistes accusent en fait le mouvement colonial d'avoir brisé le développement des civilisations extra-européennes, d'avoir dénaturé ce qui faisait l'essence même de la culture indigène en imposant un modèle de civilisation.
Le problème qui se pose alors est de savoir de quel droit on peut justifier un tel comportement. En effet, l'autorité colonial n'est soumise à aucun contrôle par le droit. Sur le plan international, ce droit à coloniser ne trouve pas de réelle forme juridique. Pour l'extrême-gauche notamment, le colonialisme n'a rien de légitime et est perçu comme le prolongement de l'impérialisme des grandes puissances européennes.
La question du droit ressurgit pleinement à la sortie de la Première guerre mondiale, qui constitue un moment fort dans l'avancée du droit international. En 1918, le président des États-Unis Wilson propose, parmi les quatorze points qu'il estime nécessaires pour le maintien de la paix, « un ajustement libre, ouvert, absolument impartial de tous les territoires coloniaux ». Il souhaite prendre en compte la souveraineté et les intérêts des populations concernées. Il énonce un véritable droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et refuse par la même occasion toute idée de colonie d'exploitation.

    1)    Une position délicate pour la France

La critique majeure adressée, sur le plan international, contre le mouvement colonial est qu'il  détourne la France de sa revanche sur l'Allemagne. En effet, elle mobilise les hommes et les moyens du pays hors d'Europe, et détourne l'opinion publique de la question des territoires perdus. Paul Déroulède déclare ainsi : « Nous avons perdu trois sœurs, et vous nous avez donné à la place vingt domestiques ». A l'heure où il faudrait rassembler les forces françaises, se « recueillir » pour préparer la revanche de 1870, on envoie hommes et finances à l'autre bout du globe.
De plus, la France est encore, dans les débuts du régime, instable politiquement et affaiblie par la défaite de 1870. Les dirigeants devraient donc, à ce titre, s'efforcer de concentrer les efforts nationaux sur le territoire français pour le réorganiser et le réformer en profondeur.
Enfin, la colonisation mobilise loin de l'Europe une grande partie des effectifs de l'armée, la laissant  quasiment sans défense, dans un contexte international qui voit surgir de nouvelles menaces, notamment liées aux rivalités que fait elle-même naitre entre les grandes puissances la conquête de nouveaux territoires.


Transition : Cependant, de telles positons vont bien souvent se révéler difficiles à tenir face à l'opinion publique majoritairement acquise à la cause coloniale, à laquelle vont progressivement se rallier un certain nombre de ses anciens détracteurs.


III/ Les limites du mouvement
   
    A. Un ralliement progressif à l'idée coloniale

Les opposants politiques de la première heure vont, dans les premières années du XXème siècle, finalement se retrouver dans le camp des partisans de la colonisation.

Ce sont tout d'abord les radicaux qui, fervents défenseurs de l'anticolonialisme en période d'opposition, ne vont en aucune manière, une fois arrivée au pouvoir en 1902, remettre en cause l’œuvre accomplie par leurs prédécesseurs, et vont même poursuivre et étendre l'action de la France outre-mer. La figure de Clemenceau est bien évident emblématique de ce revirement d'opinion. Nommé Président du Conseil en 1905, il va apparaître comme le parfait héritier de Ferry sur les questions coloniales. Il va même, en 1917, jusqu'à exiger de la part des indigènes un « impôt du sang » pour contribuer à la victoire de la France dans la Grande guerre, affirmant qu'il « aime mieux voir tuer deux Noirs qu'un seul Français ».

Les milieux de la droite conservatrice et nationaliste vont suivre cette tendance. Leur adhésion débute à partir de 1905-1906, lorsque les conservateurs offrent un soutien assez nettement marqué à la politique marocaine du gouvernement. C'est à partir de ce moment que vont en fait se réconcilier deux formes de nationalismes  : celui à vocation européenne et celui à vocation mondiale. Il est ici important de souligner que, dans l'affaire marocaine, l'adversaire de la France est l'Allemagne. De plus, une fois la conquête en voie d'achèvement, l'idée que l'empire coloniale constitue, en cas de conflit, un élément de  puissance pouvant apporter la victoire fait son chemin dans les mentalités conservatrices. Ainsi, à la veille de la Première guerre mondiale, on peut considérer leur ralliement comme quasiment acquis.


Transition : Cependant, ces ralliements ne signifient par pour autant l'arrêt de toutes les contestations. Les socialistes par exemple continuent, pour une partie d'entre eux du moins, de prôner l'anticolonialisme. Mais ils sont extrêmement divisés, ce qui fera perdre à leur contestation toute sa portée.



    B. La division des socialistes

La division des socialistes est révélatrice de l'une des faiblesses majeures de l'anticolonialisme : alors que certains condamnent la colonisation dans son ensemble, dans son principe même, d'autres ont la conviction profonde qu'il existe un idéal de colonialisme démocratique qui tempérerait les dérives de la conquête telle qu'elle a été exercée jusqu'alors par les différents gouvernements. Pour les premiers, la  condamnation du colonialisme, quelles qu'en soient les formes, doit être intransigeante alors que pour les seconds, la colonisation est un phénomène historique inéluctable qui peut être considérée comme un élément de progrès si elle est exercée selon des principes et des valeurs positives.
Ne parvenant pas à adopter une position commune nette et précise, l'opinion des socialistes reste floue. On a donc une absence de rejet du principe de colonisation.

De plus, dans les années 1910, la question coloniale disparaît quasiment des débats pour faire place à celle de la guerre en Europe.


Transition : Cet effacement de la question coloniale dans les débats n'est cependant pas uniquement lié à des facteurs circonstanciels mais est également et surtout le fruit d'une propagande continue, entretenue par le parti colonial et les différents gouvernements.


    C. La force de la propagande

L'un des atouts majeurs de la propagande colonialiste est le manque d'informations certain des milieux d'opposition. Si tous les anticolonialistes de la période se présenteront comme des briseurs de silence, c'est parce qu'une dissimulation soigneusement organisée s'est bel et bien mise en place. Les réalités coloniales sont filtrées et édulcorées, ce qui se traduit notamment très bien dans le langage employé par les sources officielles : on parle, par exemple, « d'engagés » pour désigner les indigènes contraints aux travaux forcés. De plus, la presse n'obtient bien souvent de la part des agences d'information que des données partielles.

La pénétration de l'idée coloniale dans les mentalités progresse durant la période en grande partie du fait de l'influence exercé dans ce cadre par l'école. L'histoire coloniale est en effet omniprésente dans l'enseignement. Le contenu des manuels scolaires est très orienté, comme le prouve l'exemple de la célèbre Histoire de France ou du Tour de France par deux enfants d'Ernest Lavisse. Les colonies sont présentées comme une œuvre civilisatrice, généreuse et désintéressée. Ce discours, enseigné dès l'école, permet de légitimer la colonisation. Son impact est d'autant plus fort que l'instruction primaire devient obligatoire.



Conclusion :


On constate donc que les contestations contre le parti colonial vont être portées, au fil du temps, par des acteurs très divers et selon des motivations et des procédures très variées. Cependant, l'anticolonialisme n'apparaît pas comme un mouvement unifié mais plutôt comme la réunion de personnalités défendant une multiplicité d'idées rarement cohérentes entre elles, donc limité dans sa portée.
L'anticolonialisme est en fait à l'image du colonialisme. Il ne touche pas la population dans son ensemble, du moins pas en profondeur. Il reste l'apanage d'une certaine élite sensibilisée aux questions qu'implique le mouvement colonial.









Bibliographie :



Ouvrages généraux :

    •    GIRARDET R, L'idée coloniale en France de 1871 à 1962, Paris, La Table Ronde, Hachette Littératures, collection Pluriel, 1972, réédition 2009.

    •    MANCERON G, Marianne et les colonies, Une introduction à l'histoire coloniale de la France, Paris, La Découverte,  Essais, 2003.



Ouvrages spécialisés :

    •    BIONDI JP, Les anticolonialistes (1881-1962), Paris, Robert Laffont, Les hommes et l'Histoire, 1992.

    •    LACOUTURE J, CHAGNOLLAUD D, Le désempire, Figures et thèmes de l'anticolonialisme, Paris, Denoël, Destins croisés, 1993.

    •    LIAUZU C, Histoire de l'anticolonialisme en France, du XVIe siècle à nos jours, Paris, Armand Colin, 2007.
























L'anticolonialisme en France
sous la Troisième République




I/ Les grands acteurs de l'anticolonialisme

    A. L'opposition au régime porte les débuts de l'anticolonialisme
    1)    Les conservateurs
    2)    Les radicaux

    1)    B. La contestation s'encre à gauche
    1)    Les socialistes
    2)    Les communistes

    1)    C. Une question qui touche également les milieux intellectuels
    1)    Les « ligues »
    2)    Différents courants
    1)   


II/ Les arguments avancés
    1)   
    2)    A. Un coût humain et financier
    1)    Au niveau économique
    2)    Au niveau humain
    1)   
    2)    B. Une violation criante des droits de l'homme

    1)    C. Des enjeux internationaux
    1)    Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes
    1)    Une position délicate pour la France



III/ Les limites du mouvement

    1)    A. Un ralliement progressif à l'idée coloniale
    2)   
    3)    B. La division des socialistes
    4)   
    5)    C. La force de la propagande

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