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jeudi 8 décembre 2011

liberté des Anciens et liberté des modernes selon Benjamin Constant.

Liberté des Anciens et liberté des Modernes selon Benjamin Constant (1819)

Intro :
Depuis le XVIIIe siècle, l’image des sociétés antiques tient une place importante dans les idées politiques émises par les philosophes tels que Rousseau qui voit dans la Cité antique non seulement une organisation de la société meilleure que celle de son temps, mais un véritable âge d'or. De même, dans son ouvrage de 1791, De l’Esprit des lois, Montesquieu, consacre plusieurs chapitres à ces sociétés ( Rome, Sparte, Athènes). Quelques décennies plus tard, Benjamin Constant effectue lui aussi une comparaison entre ces sociétés et celle de son temps.

Benjamin Constant est né à Lausanne en 1767, dans une famille protestante. Orphelin de mère, il vécu une enfance mouvementée et devint en 1783 étudiant à l’université d’Edimbourg, dés 1785, il commença un ouvrage sur le religions qui l’occupa toute sa vie. Deux ans plus tard il revint sur le continent, et en 1794 il rencontra Mme de Staël, qui l’influença fortement. En 1799, Sieyès le fit entrer au Tribunat, malgré l’opposition de Bonaparte, il y apparu comme leader de l’opposition libérale, ce qui lui valu d’être éliminé du Tribunat en 1802. Durant la période de l’Empire (1804-1814), il rédigea une grande partie de son œuvre littéraire, à traves l’Europe, ainsi que plusieurs écrits politiques (1806 : Principes de politique ; 1813 : De l’esprit de conquête et de l’usurpation ; 1814 : textes sur la liberté de la presse). Durant l’épisode des Cents Jours (mars-juin 1815), il rédigea l’Acte additionnel à la Constitution (surnommée la Benjamine), et fut nommé au Conseil d’Etat. A partir de cet épisode, il rédigea et publia de nombreux écrits politiques, et à partir de 1819, il est élu député. A la suite de la révolution de juillet (1830), il soutint le nouveau roi Louis -Philippe, mais il mourut le 8 décembre de cette même année.

Durant ces années d’intense activité politique, il donna des discours à l’Athénée royal de Paris, qui était une société d’enseignement libre à destination du grand public, héritière du Lycée républicain. C’est là qu’il prononça son discours de 1819, où il opère une distinction entre la liberté des Modernes et celle des Anciens. Cependant, ce discours semble n’être qu’une reprise d’idées déjà arrêtées et muries par Benjamin Constant en 1819, puisqu’on trouvait cette distinction dans Principe de politique qui fut publié en 1815, mais était déjà rédigé en 1806!

Les idées que Benjamin Constant expose dans ce discours, ont donc étaient pensées dans un contexte où la France vivait une époque troublée : depuis 1789, la France avait connu 6 « constitutions », et 5 régimes politiques (monarchie constitutionnelle, République, Directoire, Consulat (puis à vie), et l’Empire ; il ne faut pas oublier l’épisode de la Terreur, qui a constitué un traumatisme. En 1819, (en 13ans), deux autres textes constitutionnels, avaient vu le jour (Charte 1814 = Restauration (en application après les Cents jours) et Acte additionnel 1815). Les débats quand à la meilleure forme de gouvernement étaient donc toujours d’actualité, c’est pourquoi dans ce discours, Benjamin Contant s’applique à souligner les problème des schémas politiques établis à contre temps, à partir de ceux de l’Antiquité.

Le texte que nous allons étudier est un extrait de ce discours, qui se place au début de la démonstration de Constant, à la suite de cet extrait, il tire les conséquences de la distinction qu’il met en exergue.

La construction de l’extrait du discours reflète la comparaison de deux conceptions de la liberté : celle des Modernes (l. 1 à 13) et celle des Anciens (l. 14 à 28), enfin il montre que l’une et l’autre son diamétralement opposées.

A la lumière de ce discours, on peut se demander quel est la conception de la société libérale de Benjamin Constant ; pour étudier cette question nous verrons d’abord quelle place l’individu occupe dans la société, puis nous verrons que les conceptions de la participations diffèrent selon ces deux modèles.

I. Le positionnement de l’individu dans la société.A. Les sociétés modernes : l' « époque des individus ».

Ce rôle nouveau de la personne, parait si essentiel à Constant que, quand il cherche un nom approprié aux temps Modernes, il les désigne comme « l’époque des individus » (Histoire abrégée de l’égalité).

Dans cet extrait, Benjamin Constant commence par s’interroger sur la conception de la liberté que pouvait avoir « un Anglais, un Français, un habitant des États-Unis de l’Amérique » (l.1) ; de cette manière, il définit ce qu’il entend par « les modernes » (l. 35), ce sont donc les sociétés où les droits et libertés des individus sont garantis par des déclarations de Droits : pour les Etats Unis le Bill of Rights de 1789 (en application en 1791) ; pour l’Angleterre il s’agit du Bill of Rights de 1689 ; et pour la France, il s’agit de la DDHC de 1789.

De la ligne 3 à 5, il énumère des droits de l’individu contre l’arbitraire ainsi « C’est pour chacun le droit de n’être soumis qu’aux lois, de ne pouvoir être arrêté, ni détenu, ni mis à mort, ni maltraité d’aucune manière, par l’effet de la volonté arbitraire d’un ou plusieurs individus. » L’idée de « volonté arbitraire d’un ou plusieurs » est une mise en cause des régimes monarchiques et oligarchiques, mais peut peut-être aussi faire référence à des évènements qui lui sont plus proches et mettre en cause la démocratie : ainsi, pour Constant, il faut préciser des limites à la souveraineté. Par exemple, le régime issu de la RF était bien démocratique en ce qu’il procédait de la souveraineté du peuple ; pourtant c’est aussi un régime qui peut devenir despotique, comme l’a montré la Terreur.

Mais la liberté Moderne selon Constant comprend aussi des droits privés qu’il développe l. 5 à 10 : ces derniers recouvrent la liberté d’actions, de convictions, d’expression. Ces libertés figuraient déjà dans sa définition de la liberté individuelle en 1806 (Principes : « la liberté n’est autre chose que ce que les individus ont le droit de faire, et que la société n’a pas le droit d’empêcher »). Certains de ces droits permettent de mieux appréhender le libéralisme de l’auteur : par exemple le droit « de disposer de sa propriété, d’en abuser même » (l.6). Ce droit peut être perçu comme une protection de la liberté individuelle, il était assuré par des statuts juridiques (Fr DDHC art17). C’est une liberté en ce sens qu’il permet d’exercer sa liberté. Ce pendant, pour Constant, ce n’est pas comme pour Locke par exemple un droit naturel, il constitue surtout un rempart contre les empiètements de la sphère publique (société politique) sur la sphère privée (société civile).

Le droit de « choisir son industrie et de l’exercer » (l.5-6), est le seul à avoir était rajouté par l’auteur par rapport à son texte de 1806, il fait ici référence au travail du producteur, en effet, à ce moment, Constant pense que l’activité de production mérite des égards car elle appartient en propre à l’individu, par opposition aux biens transmis par héritage ( « la propriété est la valeur de la chose; l’industrie est la valeur de l’homme »).

On voit donc que selon Constant, l’individu, avec ses libertés et ses droits, est au centre de la société moderne, il n’est pas qu’une partie d’un tout, mais une entité à part entière.

B. Les sociétés anciennes : l‘individu soumis à la société.
Pour Benjamin Constant, dans les sociétés anciennes, l’individu est « circonscrit, observé, réprimé dans tous ses mouvements » (l.31), il fait ici références aux pressions sociales et à l’exiguïté dans lequel l’individu est confiné. Ceci s’explique par le fait que dans ces sociétés, le citoyen était subordonné à la cité comme le montre le vocabulaire utilisé par Benjamin Constant « assujettissement complet de l’individu à l’autorité de l’ensemble» (l.20) et « l’individu […] est esclave dans tous ses rapports privés » (l.30). Pour lui, c’est l’absence de droits individuels qui caractérise les sociétés anciennes.

De la l.22 à 24, il précise que « Rien n’est accordé à l’indépendance individuelle, ni sous le rapport des opinions, ni sous celui de l’industrie, ni surtout sous le rapport de la religion », quant aux causes de cette absence, on peut d’abord supposer que les Anciens n’avaient pas connaissance de ces droits individuels. Ici, Constant reprend une idée de N. Condorcet (1743-94), philosophe, homme politique et mathématicien français, il écrivait que « Les anciens n’avaient aucune notion de ce genre de liberté […]. Ils auraient voulu ne laisser aux hommes que les idées, que les sentiments qui entraient dans le système du législateur ».

Dans ces sociétés, la distinction qu’opère Constant entre liberté civile et liberté politique n’existait pas, de sorte que tout, ou presque, était politique. L’absence de droits individuels était donc surtout le résultat de l’organisation de la cité, davantage que une restriction de la part des pouvoirs.

Si rien n’est accordé à l’individu « sous le rapport des opinions » (l.23), c’est parce que les votent étaient (sauf pour l’ostracisme) à main levée, ce qui poussait au conformisme. En revanche, pour ce qui est « de l’industrie » (l.23), si en Lacédémone ce genre d’activité était interdite à tout citoyen, à Athènes, le politique ne gérait pas toujours le commerce qui était le plus souvent laissé aux métèques, cependant, ces tâches restaient « infamantes ».

Cela étant, cette absence de libertés individuelles n’était pas perçue comme un manque par la Ancien, (contrairement au jugement que Constant semble porter), car dans leur vision de la société, tout ce qui pouvait avoir un intérêt pour le citoyen s’inscrivait dans la sphère civique. Ainsi, le développement de Constant sur « la religion »(l.24), concernant la « faculté de choisir son culte » (l.25) s’applique bien aux sociétés anciennes puisque la religion y était « civique », les citoyens étaient tenus d’assister aux cérémonies qui tenaient une place prépondérante dans la vie de la Cité.

Ainsi quand Constant affirme que « Les lois règlent les moeurs, et comme les moeurs tiennent à tout, il n’y a rien que les lois ne règlent."
(l. 27-28), on peut le comprendre en admettant que dans les sociétés antiques la distinction entre les deux sphères n’existe pas.

donc dans ces sociétés, l’individu était fondu dans le corps social, l’individualité du citoyen n’était même pas une notion connue à l’époque, voilà une des raisons pour lesquelles Constant réfute ce modèle pour les sociétés modernes où l’individu « s’est émancipé ». Cependant, dans les sociétés antiques, il y avait bien des libertés, elles venaient de la participation au pouvoir politique.

II. La participation au pouvoir politique.
A. La condition de la liberté antique.

Benjamin commence par donner une définition de la liberté des anciens qui selon lui « consistait à exercer collectivement, mais directement plusieurs parties de la souveraineté toute entière » (l.14), la liberté du citoyen antique correspond donc à sa capacité à exercer le pouvoir.
Il défini ensuite quelques unes des libertés des citoyens antiques qui pouvaient :

« délibérer sur la place publique, de la guerre et de la paix [à conclure avec des étrangers des traités d‘alliance, à voter les lois, à prononcer les jugements, à examiner les comptes, les actes, la gestion de magistrats, à les paraitre devant tout un peuple, à les mettre en accusation, à les absoudre. » (l. 15 à 18). On voit donc que la société investissait directement les pouvoirs au corps social, il s’agissait d’une démocratie directe où la souveraineté était exercée collectivement. Mais, cet état de fait dans les cités venaient des caractéristiques propres de la Cité : les populations y sont restreintes ; et de plus, le corps de citoyen n’était pas universel, ce statut n’était attribué qu‘aux hommes libres. Ainsi, en réalité seuls quelques milliers d’hommes exerçaient cette souveraineté. Ce corps social restreint permettait l’application du principe de démocratie directe et collective, (mais dans une acceptation réduite puisque corps des citoyens réduit.)
on voit donc la distinction que fait Constant entre l’individu « portion du corps collectif »(l. 32), qui alors peut, de concert avec les autres « portions » exercer sa souveraineté ; et l’individu « soumis au corps collectif », qui peut alors subir la souveraineté des autres.

La liberté des anciens peut s’apparenter à la « volonté générale » de Rousseau, qui émane de l’individu, mais lui est supérieur, car elle ne doit pas être la somme des intérêts particuliers, mais une sorte de consensus tendant toujours au bien commun. Chez Rousseau, on trouve l’articulation de cette pensée de l’opposition des anciens et des modernes, mais pas les termes. Les anciens sont pour lui, des citoyens (parties d’un tout) « unités fractionnaires »; et les modernes, deviennent dans le meilleur des cas, des hommes, donc chacun un individu, des « entiers absolus » (Emile, 1762).

Cette conception du modèle antique comme un idéal était reprise par des penseurs de la période moderne, qui imaginent un fonctionnement similaire ; pour eux, l’engagement en politique est une vertu des citoyens antiques (pas une nécessité). Constant veut prouver l’inapplicabilité de ce modèle dans les sociétés modernes

B. Un idéal inapplicable aux sociétés modernes.
Dans sa comparaison, Benjamin Constant défini la liberté politique pour les citoyens dans la société moderne, c’est donc « le droit pour chacun, d’influer sur l’administration du gouvernement, soit par la nomination de tous ou de certains fonctionnaires, soit par des représentations, des pétitions, des demandes, que l’autorité est plus ou moins obligée de prendre en considération. » (l. 10-14). L’utilisation du verbe « influer » , par opposition à celui de « participer », qu’il utilise pour les Anciens, montre que l’ action des modernes en politique est indirecte. En effet, le citoyen moderne « perdu dans la multitude » ne peut exercer sa souveraineté de la même manière que le citoyen Ancien qui lui, est une partie d’un corps réduit. Dans les sociétés modernes, refondées par le phénomène révolutionnaires, le corps des citoyens est considérablement élargi par rapport à celui des sociétés antiques, ce qui ne permet plus l’exercice collectif de la souveraineté de manière directe.
L’auteur propose ensuite des moyens d’action et d’expression politique plus adaptés au contexte moderne, il affirme que cet exercice ne peut se faire que par l’intermédiaire de représentants. C’est pourquoi il soutient que le citoyen moderne n’est « souverain qu’en apparence » (l. 36) , que « sa souveraineté est restreinte, presque toujours suspendue » (l.36-7). C’est selon lui, ici que réside l’erreur de Rousseau : le corps civique étant étendu, et les individus jouissant de libertés individuelles, le corps social devient hétérogène, « l’aliénation totale de chaque associé avec tout ses droits à toute la communauté » n’est pas jugé acceptable ; donc en pratique, la volonté générale est exercée par des représentants, soit quelques individus, alors tous les abus sont possibles (« quelques uns profitent exclusivement du sacrifice du reste »). C’est pour cela que Constant pense qu’une limite doit être dressée entre la vie privée d’un individu et la sphère de compétence civique.

Constant précise que « si à époques fixes, mais rares […], il exerce cette souveraineté, ce n’est jamais que pour l’abdiquer. » (l. 37-38), ainsi, il revient sur l’idée de représentation : les citoyens exercent leur liberté politique lors des scrutins, et de cette manière, ils transfèrent (momentanément) leur compétence politique à un ou plusieurs représentants.

Cependant, on a vu que Constant propose aussi des moyens d’interpellation du pouvoir par « des pétitions, des demandes » (l. 12), par conséquent, si l’individu cède une part de ses droits politique en se faisant représenter, il n’est pas totalement démuni face à son représentant, il lui reste des moyens d’influer sur le gouvernement, une parcelle de droits politiques.
Benjamin Constant explique ici pourquoi selon lui, le système ancien de démocratie directe ne peut plus être appliqué à la période moderne, il recommande donc un système d’exercice de la souveraineté représentatif, dans lequel l’individu garde des moyens d’expression directe.

Conclusion : En conclusion, dans ce discours, Benjamin Constant, défini les libertés politiques et individuelles des individus modernes, il fonde sa réflexion sur une comparaison avec celles des Anciens. L’auteur s’oppose ici à un retour à cet idéal antique mis en avant par certains penseurs, en démontrant que dans le contexte moderne, le retour est impossible. En revanche, il ne rejette pas l’idée antique selon laquelle chaque individu participe à la liberté politique, simplement il faut que cette liberté soit « en phase », combinée aux libertés individuelles modernes. Les libertés individuelles sont primordiales dans les sociétés modernes mais elles doivent être garanties par la liberté politique de chacun. Il accepte l’idée de séparation et d’équilibre des pouvoirs élaborée par Montesquieu, mais y ajoute un élément : en effet, si pour Montesquieu, il ne faut pas attribuer tout le pouvoir à une seule autorité (un seul ou plusieurs individus), Constant va plus loin, pour lui, il ne faut pas attribuer tout le pouvoir. Les libertés individuelles doivent être garanties, pour former un rempart face au pouvoir. Il dissocie donc la sphère publique sur laquelle la société exerce son contrôle et la sphère privée que l’individu gère lui-même (distinction inexistante chez les Anciens). De cette manière, il articule le principe démocratique de souveraineté du peuple, avec le principe libéral de limitation du pouvoir par la garantie des droits individuels : la souveraineté populaire doit être respectueuse des libertés individuelles dans le contexte moderne. C’est cette théorie qui en fait « un des Saints Pères de l’église libérales » (M. Gauchet), et « la plus haute autorité du libéralisme » (R. Rémond).

Cependant, dans l’histoire des lettres françaises, il n’occupe pas une place correspondant au prestige de ces « appellations », cet oubli relatif est peut être du au fait que sa pensée corresponde d’assez prés à nos démocraties actuelles, elle parait presque naturelle, ce qui rend difficile sa perception. Il se peut aussi cet oubli soit du à ce que l’auteur, engagé dans la vie politique de son temps a négligé la publication de ses écrits ( certains texte politiques fondamentaux ne verront le jour qu’en 1980 et 1991).

Regard sur Djibouti

Intro :

Dernière-née d'une famille de riches bourgeois commerçants, Jane Dieulafoy est née le 29 juin 1851, à Toulouse. Elle se marie en 1870 à elle fait la connaissance de Marcel Dieulafoy (1844-1920), jeune ingénieur des ponts et chaussées, passionné d'art et d'archéologie.

En 1879, le couple Dieulafoy entreprend un premier voyage en Perse, pendant lequel Jane tient " son Journal ", prenant des notes, des photos et des croquis sur tous les aspects du pays qu'elle traverse, archéologique aussi bien que sociologique. De retour à Paris, son récit paraît en œuvre complète en 1887 sous le titre La Perse, la Chaldée, la Susiane.

Fin 1883, les Dieulafoy repartent pour la Perse pour fouiller la cité de Suse. En 1888 elle publie le journal de cette mission sous le titre A Suse, journal des fouilles 1884-1886, dont le texte que nous allons étudier est extrait.

Elle publia ensuite des romans, d’autres récits d’expéditions et donna des Conférence à l’Odéon.

En 1914, elle s’embarquât pour le Maroc afin de suivre son mari, affecté à Rabat au poste de colonel du génie. Mais en mauvaise santé, elle dut être rapatriée en France, et mourut en 1916 à Toulouse.

Le texte que nous allons étudier est donc issu du journal d’une intellectuelle. De type descriptif, il nous présente un regard porté sur Obock, confetti d’Empire acquis en 1862, terre d’environ 100 km², détaché du reste des possessions françaises.

Le texte, daté du 3 janvier 1884, s’inscrit dans un contexte particulier de la colonisation française de l’Afrique. En effet, les années 1880-1885 furent des années cruciales de la colonisation, des entreprises furent alors menées sur tous les points où la France avait d’anciens droits ou de vieilles ambitions. C’était le cas du territoire d’Obock. Après l’installation des britanniques à Aden en 1839, et le percement du canal de Suez en 1859, le ministre de l’Algérie et des colonies, Jérôme Bonaparte, cherche à créer un établissement dans cette région appelée à devenir une grande voie de passage. Après la mort d’Henri Lambert, il revint au capitaine de vaisseau Fleuriot de Langle de poursuivre les relations avec Abou-Bekr, chef de Zeilah, pour acquérir un emplacement dans le Golfe de Tadjoura. Ainsi, un traité est signé le 11 mars 1862, cédant à la France, pour 10 000 thalaris le territoire d’Obock, sur la rive nord de la baie de Tadjoura. Cependant, il n’y eut pas de prise de possession effective du territoire d’Obock par la France avant 1881. Mais en 1883 les Anglais fermèrent l'accès du port d'Aden aux Français. Il fallait à la marine française une escale de ravitaillement sur la route d'Extrême Orient. La France décide donc l'installation d'une escale maritime et d'un dépôt de ravitaillement à Obock Cependant quelques entreprises commerciales devancèrent la politique française, en 1874, Pierre Arnoux fonda une factorie à Obock, et créa la Compagnie franco-Ethiopienne.

Ce texte nous donne donc une vision de ce territoire par le prisme des réflexions d’une intellectuelle et exploratrice française, il permet de se demander si Obock en janvier 1884 paraissait une « colonie inutile » comme la caractérise Henri BRUNSCHWIG, ou si elle pouvait être pouvait se montrer une colonie précieuse? Pour étudier cette question, nous verrons d’abord la présentation du territoire d’Obock tel que Jane Dieulafoy nous la montre, puis nous verrons qu’ en 1884, on assiste à un
second souffle de l’expansion française dans la Corne de l’Afrique et l’intérêt stratégique d’Obock.

I. Présentation de la colonie d’Obock

A. Le territoire d’Obock : une terre inhospitalière.

Sous la plume de Jane Dieulafoy, le territoire d’Obock apparaît particulièrement inhospitalier.

è Elle décrit tout d’abord un paysage rocheux, à la géologie tourmentée « A l'horizon courent des montagnes qui s'étendent du nord-est au sud-ouest et s'infléchissent vers le sud, entre Obock et Tadjoura. » (l.6-7) ; puis elle poursuit en nous indiquant de quel type de roche il s’agit « prolongement volcanique des côtes de la mer Rouge » (l.7). En effet, le territoire d’Obock se situe dans ce qu’on nomme la Rift Valley, donc dans une zone de volcanisme important. Il résulte de ce phénomène un paysage marqué par des zones d’effondrement, bordés de régions plus élevées. En plus de ces roches volcaniques, Dieulafoy évoque « un plateau madréporique » (l.8), qui sont des calcaires coralliens. Elle insiste sur cette caractéristique du paysage « Nous gravissons la falaise, formée de dépôts madréporiques » (l.53) ; « Une chaîne de montagnes d'un accès difficile sépare Obock » (l.84) ; « Encore un espace rocheux » (l. 59). Cette insistance nous montre qu’il s’agit là d’une des principales caractéristique du paysage d’Obock.

è (l.11-12) « quelques arbres noueux, une dépression verdie par de chétifs palétuviers, le lit d'un torrent desséché » et « 30 degrés centigrades. Cette température hivernale » (l.23-24) , par ces évocations, Jane Dieulafoy nous montre également qu’il s’agit d’une région aride, en effet, la plaine côtière d’Obock est caractérisée par une longue saison pluvieuse, correspondant à la saison fraîche qui va de novembre à avril, et une petite saison pluvieuse coïncidant avec la saison chaude, de juillet à septembre. Cette région connaît un climat de type tropical, aride ou semi-aride, qui varie selon l'altitude, Obock se situant dans une région basse (-100m sous le niveau de la mer) les conditions climatiques y sont rudes et inhospitalières.

è On remarque ensuite quelques observations sur les plantes environnantes « des mimosas noueux au feuillage fin et clairsemé » (l.29). Cette observation nous permet de constater les conséquences de ce climat sur la végétation, Jane Dieulafoy rapporte qu’on lui fit « admirer l'emplacement d'un potager où je vois trois choux et une douzaine de laitues » (l.56-7). On remarque donc bien que la culture à Obock est difficile, en raison du temps et du type de sol qu’on y trouve, on peut ainsi conclure à une terre où les conditions de vie semblent difficiles, et même hostiles.

Ainsi, quand Jane Dieulafoy considère l’apport que pourrait représenter Obock pour la métropole en terme d’agriculture, elle conclue que cette colonie « ne saurait être bien prospère dans un pays pourvu de torrents sans eau, de rochers sans terre végétale, d'une atmosphère sans nuage, d'un soleil sans pitié ni merci. » (l.80-81).

En effet, la politique fondait alors de grands espoirs sur les ressources coloniales, il s’agissait d’assurer un ravitaillement constant en matières premières exotiques dont la demande ne cesse de croitre. Par exemple, des territoires du Congo, laissés en concessions aux négociants pour l’exploitation des bois exotiques.

è Cependant, la difficultés des conditions de vie à Obock peut expliquer certains aspects des modes de vie de ses habitants, tels que Diane Dieulafoy nous les croque.

B. Un portrait des Danakils.

è Dans son journal, Jane Dieulafoy nous livre un portrait des habitants du territoire d’Obock, les « Danakils » (l.39). C’est le nom sous lequel les tribus arabes du Yémen connaissent les Afars, les Danakils sont davantage connus sous ce nom.

è A son arrivée sur la terre ferme, Jane Dieulafoy décrit les habitations indigènes « 
une trentaine de huttes couvertes d'étoffes de poil de chèvre ou formées de nattes en feuilles de palmier suspendues aux plus grosses branches » (l.29-30). Ces habitations paraissent rudimentaires, mais cela peut s’expliquer par le mode de vie des danakils, en effet, ces derniers sont nomades, et vivent en « camps », réunissant plusieurs huttes, chacune abritant la descendance patrilinéaire d’une famille. On peut donc estimer qu’au moment du passage de Jane, de nombreux Danakils était à Obock.

è Puis l’auteure ajoute qu’ « Autour de ces habitations primitives sont couchés des vaches très petites, fort maigres, et de superbes moutons blancs à tête noire, qui sembleraient parents des chèvres leurs voisines, s'ils n'avaient le poil ras et la queue développée » (l.31-32). En effet, les Danakils sont un peuple de pasteurs, l’élevage est pour eux essentiel ; ainsi, à sa naissance, chaque enfant reçoit une femelle de chaque cheptel, qui sont appelées à devenir la base du futur cheptel de l’enfant.

è Elle nous croque ensuite les indigènes qu’elle croise, notamment les femmes : « Les femmes mûres, plus couvertes que leurs maris, s'enroulent dans des étoffes de laine, tout en laissant épaules et bras nus. La tête, protégée par une toison que les coquettes s'efforcent de natter, est décorée d'un paquet de cotonnade plié en forme de chaperon plus ou moins fantaisiste. » (l.34-6). En effet, on sait que les femmes Danakils, une fois mariées se couvrent la tête, alors qu’au contraire, les jeunes vierges, ne sont vêtues que de longues jupes, ainsi, on peut supposer que les « deux jeunes filles sommairement vêtues » (l. 62), étaient toutes deux « à marier ». Elle décrit également la tenue des hommes qui s’ « entourent le bas des reins d'un pagne; quelques importants ajoutent à ce costume une sorte de toge de calicot blanc. » (l.32), elle ne fait cependant alors aucune référence au « jile », couteau tranchant à lame courbe que les danakils sont réputés toujours porter sur eux. Jane note alors que le costume des enfants «se réduit à une amulette attachée autour du cou. » (l.38).

è Dans son portrait, Jane fait des Danakils des « Chasseurs adroits, pêcheurs habiles, coureurs rapides » (l.39). On remarque une certaine insistance sur leur habileté dans l’eau puisqu’elle remarque la présence de « deux ou trois barques indigènes » (l.14), ce qui montre qu’ils savent naviguer, au moins sur de petites distances, suffisamment pour pêcher. La comparaison qu’elle effectue (l. 19-21) entre les Danakils et les européens vient appuyer cet idée puisque les premiers « courent vers la plage, entrent dans l'eau jusqu'aux genoux et accostent le chaland de charbon. » ; alors que les seconds «enlèvent leurs souliers, retroussent leurs pantalons et barbotent pendant vingt minutes avant d'atteindre de petites embarcations ».

è Cependant, selon Jane Dieulafoy, les Danakils « joignent à ces qualités une cruauté et une fourberie dont ils se vantent tout les premiers [...]La mort d'un adversaire vulgaire donne le droit de porter une année durant la plume noire plantée dans la chevelure; une plume blanche, valable dix ans, est octroyée au vainqueur d'un lion ou d'un Européen. » (l.39-43). Ainsi, les Afars en plus d’être des pasteurs nomades, sont aussi des guerriers. La violence, dans leur système sociologique joue un rôle important comme le montre le fait de porter des emblèmes de leurs « prouesses », on peut ajouter qu’au bout de dix morts, ils ont le droit de porter un bracelet de fer.

è Cependant si les Danakils obéissent à des « moeurs sanguinaires », ou guerrières, il peut s’agir d’une réaction face aux européens conquérants.



C. « Cruauté et fourberie » (l. 40) des Danakils, ou hostilité au colonisateur?

è Jane Dieulafoy dépeint donc les danakils comme des indigènes cruels et fourbes (l.40), obéissant à des « mœurs sanguinaires » (l.44). Mais il faut savoir que dés l’installation des français à Obock en 1862, il s’est instauré entre les nomades afars et les administrateurs métropolitains une incompréhension d’ordre socioculturelle et juridique. Le colon qui avait de l’Africain l’image du cultivateur de l’Afrique de l’Ouest ou du berger Maghrébin a eu du mal à situer ces nomades jugés farouches, indépendants et ne se pliant à aucun travail manuel, nomadisant entre les territoires éthiopiens djiboutien, au mépris des frontières établies. Les premiers contacts entre les représentants de l’Empire français et les nomades afars furent rudes. Les quelques massacres de marchands aventuriers et d’administrateurs, leur ont définitivement conféré une image de guerriers indisciplinés et farouches. Ainsi en 1859, Henri Lambert fut assassiné (pris dans un conflit entre notables régionaux).

è Cette image des indigènes favorise le sentiment d’insécurité à Obock : « L'année dernière ils (les européens) n'osaient se hasarder sans armes entre leurs maisons, à peine distantes de quarante mètres. […] Aujourd'hui encore, Obock offre si peu de sécurité, que le gouverneur va coucher tous les soirs à bord du Pingouin, tandis que le corps de garde lève le pont-levis dès la tombée de la nuit et se barricade de son mieux. » (l.48-52). Il faut dire que dans cette région, dans les années 1880, plusieurs étrangers furent victimes d’acte de pillage et d’agression entrant dans un processus de vendetta. Ainsi, le massacre de P. ARNOUX (négociant) en mars 1882, affecta les quelques expatriés français d’Obock. Ce meurtre fut différemment interprété : pour certains, il entrait dans la coutume du prix du sang ( 1881 : tue un voleur è demande de réparation / Arnoux se juge dans son bon droit). En effet, les Danakils pratiquent la loi du talion (cette justice est rendue par une assemblée des anciens qui réunie les chefs de clans d’une tribu). Cela pourrait expliquer l’anecdote que rapporte l’auteure : « Un des plus vieux colons, M. Arnous, dont les danakils prétendaient avoir à se plaindre, n'avait- il pas été frappé sur le seuil même de la factorerie? », car s’ils avaient réellement de quoi se plaindre de ce colon, leur coutume les autorisait à se « venger »

è (l.64-67) Jane Dieulafoy rapporte que comme ils considéraient « 
deux jeunes filles sommairement vêtues », « un Dankali, la lance à la main, les traits bouleversés, sort d'un épais buisson et se précipite vers nous ; à la vue de nos revolvers il s'arrête dans l'attitude d'un fauve prêt à bondir. Voilà comment on salue des amis à dix minutes du drapeau tricolore. » Il convient ici de rappeler que ces deux jeunes filles, d’après les informations donnaient devaient être de jeunes vierges. De plus, on sait, grâce à un compte rendu de Léonce Lagarde (gouverneur d’Obock juin 1884) de ses missions à Obock en 1883 et 1884, que toutes les criques depuis Obock, servaient de ports d’embarquement pour les esclaves, expédiés vers les côtes asiatiques. Dans la ville de Tadjoura seule, on vendait plus de 2000 enfants par an. On peut donc penser que la réaction du Danakil, n’était pas alors une simple expression de la violence de ce peuple, mais qu’elle était dictée par de la peur pour ces jeunes filles, que c’était davantage une attitude protectrice, comme tend a le montrer l’expression « les traits bouleversés. 

II. Second souffle de l’expansion française dans la Corne de l’Afrique et l’intérêt stratégique d’Obock.



A. Un espace encore mal maîtrisé.

è Jane Dieulafoy rapporte que le territoire d’Obock « fut acquis des chefs indigènes en 1862, par le commandant Fleuriot de Langle, et payé dix mille thalaris, soit à peu près cinquante mille francs. Sa superficie et de vingt-cinq lieues carrées. » (l. 9-10). Cependant, si la possession française est ancienne, il n’y eut pas de prise de possession effective du territoire d’Obock par la France avant 1881. Ainsi, quand Jane y met le pied en 1884, la France n’a commencé à prendre le territoire en main que depuis quelques années.

è à plusieurs reprises, elle nomme des bâtiments que les colons ont fait construire : « tour de Soleillet », cette dernière fut construite pour assurer la sécurité de la concession à laquelle P. Soleillet (connu par ses explorations dans le nord de l’Afrique et au Sénégal) et être, le cas échéant, en mesure de repousser une attaque. Cette Tour se trouve dans la factorie Godin, c’est-à-dire dans la concession de la compagnie française d’Obock, dont Soleillet était employé. Elle cite également « une maison appartenant à la Compagnie concessionnaire des dépôts de charbon » et la « concession Menier » ; Jules Mesnier, de la Compagnie des Steamers de l’Ouest, obtint en 1883, le droit de livrer à la flotte française du charbon, cet établissement ouvrit son dépôt en 1884. Elle rapporte également l’existence d’un « hôpital en construction, » en effet, puisque la France compte occuper davantage Obock, il est nécessaire d’y établir un hôpital, mais en raison du peu de temps depuis lequel cette décision est prise, sa construction n’est pas achevée. Elle remarque ensuite un « amoncellement de houille exposé au grand air » (l.13) ; donc pas encore exploité. Tout ces éléments nous permettent de penser qu’en janvier 1884, Obock n’est pas encore un territoire totalement maîtrisé, ou optimisé.

è De plus, elle note qu’elle ne voit « navire qui vive dans cet étrange port de mer. » (16-17), mis à part le Tonkin, le brandon ( stationnaire de la colonie), le Pingouin (vapeur de l‘Etat), un chaland à charbon et quelques barques. Le peu de navires qu’elle croise, et l’absence de tout autre matériel ( par exemple grue de levage) nous permet de distinguer en creux, que le port d’Obock n’est pas encore aménagé de manière à attirer les marins.

è Cependant, elle remarque la présence « d'un chemin de fer Decauville » (l.26) c’est un chemin de fer constitué par une voie portative de faible écartement (0,40 à 0,60 m). ceci est une marque de modernité puisque ce procédé fut mis au point en 1875, cela nous montre le regain d’intérêt pour la région, mais il est tout de suite contre contrebalancé par la description de « la grand-route de la factorerie » qui n’est qu’un « sentier tracé dans le sable » (l.26-27).

De plus comme nous l’avons vu, ce territoire ne semble en 1884, n’être que peu sécurisé.

è Ainsi, le territoire d’obock semble alors mal maîtrisé par les français, cependant, il présente des intérêts.

B. L’intérêt d’un port de charbonnage et d’un comptoir commercial français dans la Corne de l’Afrique.

Ce petit territoire en raison de sa position géographique présentait des intérêts stratégiques pour la France. En effet, Jane Dieulafoy le localise ( l.3-4) : « Nous venons de laisser à bâbord la petite île de Périm, piton dénudé qui commande en souverain le détroit de Bab-el-Mandeb ». Ce détroit entre la Mer Rouge et l’Océan Indien était en la possession des britanniques, qui par là, détenaient la principale escale de charbonnage entre ces deux espaces maritimes : Aden.

è En 1884, la France sortie de son long recueillement, est entrée dans un processus d’expansion. Jane Dieulafoy présente dans ce texte ces réflexions quant à l’intérêt d’Obock, qui « considéré au point de vue militaire, peut devenir une colonie précieuse. C'est un dépôt de charbon où nos navires trouveraient, à défaut d'Aden, à s'approvisionner de combustible. » (l. 68-69). Ainsi, cet établissement avait un intérêt stratégique, il devait devenir sur la principale route impériale, un port d’escale et de ravitaillement. Il fallait donc créer un mouvement de navigation pour détourner les bâtiments d’Aden. Ce qui imposait d’y établir un dépôt de charbon, et qui explique l’approbation du gouvernement français à l’entreprise de Mesnier. Cet industriel obtenait le droit de livrer du charbon à la flotte française en 1883, grâce au soutien du sous-secrétaire d’Etat au ministère de la Marine et des Colonies ( Félix Faure).

è Cet intérêt répond à des arguments d’ordre stratégiques, mais aussi financiers : (l.72-76), Jane considère qu’ « En temps de paix, grâce à Obock, on espère s'affranchir des charbons anglais, des transports anglais. […] pour l'avenir. Aujourd'hui Obock coûte chaque année plus de quatre cent mille francs et reçoit, en fait de marchandises françaises, du charbon venu en droite ligne de Cardiff, apporté par des bateaux construits en Angleterre, chargés à Swansea et qui n'ont de français que le pavillon, l'équipage et un port d'attache où ils relâchent de temps à autre, afin de toucher la prime à la navigation ». En effet, si après 1862, la préoccupation de ne pas inquiéter les anglais, explique la limitation des ambitions sur ce territoire du ministre des affaires étrangères ; en 1884, la France fait le choix de la reprise en main d’Obock, au nom de l’indépendance stratégique, mais, aussi parce qu’il n’est plus envisageable pour cette puissance coloniale d’enrichir sa rivale, en versant dans les caisses d’Aden une somme annuelle de 600 000 francs pour les dépenses en vivres, en matériel et en combustible des bâtiments français.

è De plus, ce territoire présente un intérêt commercial que Jane Dieulafoy souligne: « Reste le commerce avec le Choa et l'Abyssinie, les caravanes, la poudre d'or, les dents d'éléphant, les blés, les orges!» (l. 82-83). En effet, le chemin par la terre, la roue des caravanes laissait entrevoir de grandes richesses, la littérature depuis l’explorateur Rochet-Héricourt dans son ouvrage Voyage en Abyssinie. Un aventurier français au royaume du Choa : 1842-1843, confortait le mythe d’un eldorado Ethiopien. Il aurait alors était avantageux pour la France de susciter un flux commercial par Obock, en attirant les caravanes, et de cette façon, capter les richesses de l’Ethiopie méridionale.

C. Des potentialités contrebalancée.

Cependant, malgré ces potentialités, le site d’Obock présente des inconvénients à un établissement prospère.

è Tout d’abord, Jane explique « qu'il existe pourtant une grande différence entre les charbons anglais d'Aden et les charbons, non moins anglais, d'Obock. A Aden la tonne coûte vingt francs de moins et arrive à bord des navires cinq fois plus vite qu'à Obock. » (l. 76-78). Cette différence de prix peut s’expliquer par le manque d’infrastructures facilitant l’exploitation du dépôt de charbon par le port. En effet, dans un rapport du 3 janvier 1884 remis au ministère de la Marine, le commandant de l’ Infernet explique que ce projet susciterait des dépenses considérables, et qu’il faudrait « se contenter d’un ponton de capacité suffisante, complètement aménagé de façon à recevoir les marchandises de façon à ce que la manutention eut lieu par des moyens mécaniques. ». Donc en 1884, ces infrastructures n’existent pas. De plus, l’eau puisée à Obock était trop sulfureuse pour les chaudières des navires, il fallait donc la distiller, ce qui augmentait le prix de revient de cette matière première : 30 fcs à Obock / 20 fcs à Aden.

è De plus, la géographie et le climat enlèvent à ce territoire tout intérêt agricole comme nous l’avons vu dans la partie I.
è Enfin, Jane Dieulafoy observe
(l. 86-87), que « Malheureusement l'avenir commercial de notre colonie est aussi précaire que ses destinées agricoles. Une chaîne de montagnes d'un accès difficile sépare Obock des routes de caravanes conduisant en Abyssinie, barre le passage à l'Aouach, grande rivière qui seule eût permis d'effectuer des transports à bon marché, et ferme l'accès de cette partie du littoral ». Ainsi, aux inconvénients du site portuaire, s’en ajoutait d’autres, le site d’ Obock, comportait d’insurmontables obstacles naturels, mais aussi humains. Les caravanes qui empruntaient cette route étaient régulièrement la cible d’attaques de clans Danakils. Ainsi, les caravanes délaissaient Obock « au profit de Tadjoura, situé à plusieurs étapes au sud. », en effet ce site était le meilleur terminus des pistes caravanières. Il était de plus le centre de commerce traditionnel avec le royaume de Choa. Cette ville était mieux située que l’établissement d’Obock, trop excentré par rapport à cette voie commerciale.

è Elle rapporte enfin que la France est en 1884, « dans les meilleurs termes avec le roi du Choa, Ménélik, vassal de Sa Majesté le roi Jean d'Abyssinie. Ce prince chercherait même à nouer des relations amicales avec la France. » (l. 88-89), cette « amitié » entre le roi du Choa et la France peut être un avantage quant au commerce par voie de terre. En effet, les sultans des peuples se trouvant sur la route entre le Choa et la baie de Tadjoura se considèrent comme les vassaux du roi de Choa. Ainsi, en cultivant ces bons rapports avec Ménélik II, la France pourrait trouver une route ouverte et relativement sure. Cependant, cette solution semble alors risquée puisque Ménélik II était vassal du roi Jean d’Abyssinie, et qu’il est à craindre qu’un rapprochement entre son vassal et la France ne l’engage à se lier avec les anglais, ce qui serait alors contraire aux intérêts français.

comment expliquer aujourd'hui l'éparpillement des centres?

INTRO :è
Le mot « centre » apparaît à la fin du XIII° siècle. Le terme « centriste », lui, ne fait son entrée officielle en politique qu’en 1922. Quant à celui de « centrisme », il est utilisé pour la première fois en 1936.
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Selon Olivier Nay, le terme de « centrisme » ne renvoie pas à un courant politique ou doctrinal établi, mais désigne les formations politiques et les groupes parlementaires, qui dans les systèmes multipartites occupent le centre de l’échiquier politique. De la même manière, pour Maurice Duverger, le centre, dans la France républicaine « n’est que le lieu géométrique où se rassemblent les modérés des tendances opposées », donc de droite et de gauche. Les « centristes » ne s’identifient ni au socialisme, ni au conservatisme, et se caractérisent donc par la recherche d’une voie médiane, on remarque surtout un fort rejet des extrêmes.
Par définition, donc, le centre semble hétérogène, et multiple, il conviendrait donc plutôt d’employer le pluriel et de parler « des Centres ».
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Sous la IV République, malgré les diverses tendances qu’on remarque au sein du centre, ce dernier semblait tout puissant : faisant et défaisant les majorités. En effet, le système de scrutin proportionnel de ce régime favorisait la multiplication des partis, la dispersion des voix. Ainsi, les différents centres prenaient un rôle de « parti charnière », appartenant aux coalitions parlementaires et gouvernementales, ils étaient alors indispensables à la constitution d‘une majorité. Alors, deux principaux partis illustraient le centre : le MRP et le Parti Radical, c’est-à-dire une aile droite et une aile gauche.
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En 1958, les centres se divisaient toujours entre ces deux partis.
En 1965 le MRP s’élargit en une coalition centriste indépendant, le Centre Démocrate, alors qu’en que pour les législative 1967, le Parti Radical participe à une coalition de gauche. En 1969, le CD se divise, et une partie rallie la majorité pompidolienne.
En 1971, les centristes fondent le Mouvement réformateur, réunissant de nombreuses formations centristes, mais ce dernier intègre en 1974 la majorité giscardienne. Alors que les centres qui n’y avaient pas pris part soutiennent alors J. Chaban-Delmas, ou présentent leur propre candidat. On constate donc une intégration d’une partie des centriste à la droite qui est consommée en 1978, avec la création de l’Union pour la Démocratie Française (UDF) qui réunie la droite non gaulliste. Dans le même temps, une autre partie des centristes a intégré la gauche, des radicaux signent la programme commun du PC et du PS en 1972, et d’anciens membres du MRP rejoignent le PS en 1974. De plus, l’ »ouverture »du gouvernement Rocard (1988), n’a attiré que des individualités.
Dans l’histoire de la V République, on remarque donc que ces Centres, multiples ont à plusieurs reprise tenté de se regrouper, mais ce sont au final toujours divisés, attirés chacun par un pôle.
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En 2007, fort de son score à l’élection présidentiel (18,57%), F. Bayrou, a tenté de créer un Centre indépendant, le MoDem (fin 2007) ; mais la majorité des élus de l’ex-UDF ont conservé un positionnement centre-droit en créant le Nouveau Centre (Hervé Morin) (2008). Ce ne sont pas les seuls « centres », d’autres personnalités s’en revendiquent : Jean Arthuis (préside l'Alliance centriste), J.M Bocquel (La Gauche Moderne), entre autres. Il existe donc aujourd’hui plusieurs centres en France, qui ne sont pas réunis au sein d’une même structure, notamment depuis l’éclatement de l’UDF.
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Face à ce constat, on peut se demander à quoi est du cet « essaimage » des centres? Pour étudier cette question, nous verrons tout d’abord les faiblesses « intrinsèques » des centres, puis les facteurs extérieurs aux centres eux même, et qui les fragilisent, enfin, nous nous intéresserons à l’importance de l’électorat complexe du centre comme facteur explicatif.

I. Des faiblesses intrinsèques.
A. Hétérogénéité des traditions.
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On l’a donc vu, les centrismes se caractérisent par un double refus : « ni de gauche, ni de droite », ni individualiste, ni collectiviste ; désireux d’échapper au clivage droite/gauche. De cette façon, en 1980, F. Bayrou déclare : »nous résistons à la gauche au nom de la personne humaine, nous résistons à la droite au nom de la solidarité ».

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Cependant, une doctrine ne peut se fonder sur un refus. Ainsi, pour Pierre Méhaignerie, en 1984, « il faut que le centrisme ne se définisse pas comme l’expression d’un double refus […] mais qu’il s’incarne dans une vision positive de l’avenir de notre société. D’autre part, il nous faut sur le champ de ce qu’est aujourd’hui le terrain idéologique, aider à l’émergence à l’affirmation et à l’épanouissement de valeurs nouvelles ».

Mais c’est bien là qu’achoppent les centrismes, ces derniers issus de différentes traditions ne défendent pas toujours, selon leur origine, les mêmes « valeurs nouvelles ». En effet, les centrismes se réclament de cultures politiques différentes, il s’agit pour l’essentiel des cultures politiques radicales et démocrates-chrétiennes. La première, est apparue comme une tradition de gauche, se réclamant de la défense du parlementarisme, d’une doctrine sociale originale (promotion par le travail, épargne, école). Or, la gauche à changé avec l’apparition d’une gauche socialiste, faisant alors passer la frontière droite gauche au milieu du courant radical (è des radicaux dans l’UDF/ mouvement des radicaux de gauche).

La démocratie chrétienne, née de la volonté de réforme qui marque le christianisme social, notamment en matière d’expression parlementaire. Le MRP représentait ce centre, la participation de cette formation à des coalitions de droite, montrent sa « droitisation », on se retrouve donc face à deux courants : un centre-droit et un centre-gauche. Ainsi, malgré l’existences de vues communes, leur rapprochement est confronté à des obstacles comme celui qui oppose l’inspiration chrétienne des uns à l’engagement laïque des autres.

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Comme le montrent les débats sur l’école : (loi Savary sous Mitterrand) par exemple, le décret n°2009-427, qui a pour objet, «de reconnaître la valeur des grades et des diplômes canoniques (théologie, philosophie, droit canonique) ou profanes délivrés par les établissements d'enseignement supérieur catholiques reconnus par le Saint-Siège». Par cet accord l'Etat français s'engage à reconnaître sans validation par le ministère de l’éducation nationale les diplômes délivrés par les établissements d’enseignement supérieur habilités par le Saint-Siège. Provoque la réaction de J.M Baylet qui rappelle dans une tribune publié dans le Monde le 21 mai 2009, que « dans une république conséquente, la loi doit respecter la foi, mais la foi ne doit pas dicter la loi. » ; mais ce décret, n’occasionne pas la démission des ministres « d’ouverture » au centre (Morin, Borloo).

(discours de Latran 20/12/2007 : « l’instituteur ne pourra jamais remplacé le curé ou le pasteur » = François Bayrou, président du MoDem, avait dénoncé un discours favorisant le retour de la religion "opium du peuple" mais ne fait pas démissionner H. Morin.).

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On remarque donc plusieurs tendances dans ces centres, JF Sirenelli parle « d’agrégat de cultures politiques » : un courant radical (comme le parti radical de gauche) ; des racines démocrates chrétiennes ; et un courant plus libéral, aujourd’hui incarné par des partis comme le Nouveau Centre ( ceux qui avaient soutenu VGE, et rallié l’UDF en 1978).

B. Des faiblesses héritées : la difficile autonomie.

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A cet handicap d’ordre idéologique, s’ajoute le problème de l’autonomie du centre. En effet, le centre a bien un électorat, environ 8% des français se reconnaissent au centre (septembre 2010) et ne veulent se situer ni dans le bloc de droite, ni dans celui de gauche. Ainsi, ils sont déterminants dans tout scrutin ; cependant, cela ne suffit pas pour un parti qui a vocation gouvernementale (encore faudrait-il qu’un parti réussisse à capter cet électorat aussi divisé que ces représentants). Les Centres sont donc contraints, le plus souvent, d’adopter des stratégies complexes : essayer d’être autonome ; ou se situer directement dans un camp. On peut parler de difficile autonomie, puisque F. Bayrou, en dépit de score à la présidentielle de 2007, (18.6%) ; ne comptabilise pas assez de députés à la législative de la même année pour former un groupe parlementaire, puisqu’il ne comptabilise que 4 députés MoDem.

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De plus, les centres semblent, historiquement, arrimés à la droite, en effet, en mai 2007, une large majorité des députés de l'UDF (23 sur 29 en prenant en compte les apparentés) n'ont pas suivi François Bayrou dans son intention de création du Mouvement démocrate (MoDem), mais ont au contraire défendu une alliance des centristes dans la majorité présidentielle, qui maintiendrait l'UDF au centre-droit. Cette position a été notamment défendue par des personnalités comme Hervé Morin, qui fondèrent le Nouveau Centre en mai 2008. Une autre partie des cadres et militants ont créé l'Alliance centriste ou encore Avenir démocrate, tandis que d'autres ont rejoint le Forum des républicains sociaux, parti associé à l'UMP, ou sont devenus « centristes sans étiquette ».

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On peut aussi remarquer qu’au centre-gauche, la position autonome est aussi difficile à tenir. Par exemple : La candidate PRG à l'élection présidentielle de 2002, Christiane Taubira ne récolte que 2,32 % des voix. De plus, a la suite des élections législatives de 2007, l'ensemble des députés radicaux de gauche siègent comme apparentés au groupe socialiste, radical et citoyen au sein duquel ils constituent un sous-groupe avec des députés divers gauche.

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on voit donc que les centres aujourd’hui, se divisent selon le clivage traditionnel droite- gauche : alors que leur vocation est d’être topographiquement au centre de l‘échiquier politique, ces derniers se retrouvent en marge des coalitions auxquelles ils participent, l’un formant « la gauche de la droite » , et l’autre constituant « la droite de la gauche ». Cependant, des courant des centres refusent de perdre leur individualité, et de disparaitre « entre les mâchoires d’un crocodile » (P. Abelin).

II. Les facteurs extérieurs.


A. Les mécanismes institutionnels implacables.

Mais, les failles internes qui affaiblissent les centres ne sont pas les seuls facteurs qui peuvent être avancés quant à l’explication de son éparpillement. En effet, les mécanismes de la V République ne leur laissent pas de place en tant que force autonome. En 1958, le choix des constituants s’est porté sur le scrutin majoritaire à 2 tours, notamment pour les élections présidentielles et régionales, en raison de son effet stabilisateur, établissant des majorités claires. Ce mode de scrutin permet au multipartisme de subsister au premier tour, cependant, il favorise la bipolarisation au second tour, sous l’effet des alliances et des « marchandages ». En revanche, ceux qui ne souscrivent pas d’alliances sont souvent privés de représentation. Ainsi, on a pu qualifier ce mode de scrutin de « machine à broyer le centre ». Il permet d’assurer une surreprésentation des partis qui peuvent rassembler entre 35 et 45% des suffrages, ce qui favorise le fait majoritaire. Au contraire du scrutin proportionnel, qui en reflétant de plus prés l’électorat rend les centres indispensables à la formation d’une majorité gouvernable. Ce mode de scrutin explique donc pour une part l’éparpillement des centres, puisqu’ils forcent à un choix, dans la logique dualiste induite par les institutions de la V République.

De plus, la place prépondérante donnée au Président de la République, et notamment la sur-légitimité dont il est investit par le Suffrage universel direct lèse les centres. En effet, la Président, une fois élu, doit par son rôle d’arbitre incarner le consensus national. Il est au moins en théorie celui qui dépasse les clivages partisans. Dans les différentes campagnes, les présidentiables, ou personnalités politiques souhaitant l’être ont donc souvent cherché à « chasser » sur les terres du centre.

B. Le recentrage de la vie politique française.
De plus, on constate dans la vie politique française un certain « recentrage » des débats. Même si on assiste à une « re-bipolarisation » depuis quelques années (LUMP et le PS contrôlent 92% des sièges à lAssemblée nationale et constituent un véritable duopole partisan qui domine notre système politique), les débats ont changé.

Tout d’abord, certains critères de distinction entre la droite et la gauche sont devenus avec le temps caducs, comme la question de la nature du régime, par exemple. Mais d’autres sujets ont évolués dans le sens d’un consensus entre ces 2 blocs, comme la question de la construction européenne. Or, ce thème constituait une pièce maîtresse de la « doctrine » du centre. Ainsi, par l’évolution du débat politique, les centres perdent l’exclusivité de certains de leurs rares points d’accord, Ils perdent donc des idées sur lesquelles s’appuyer pour une éventuelle union.

De plus, dans le débat politique on assiste à un certain brouillage entre la gauche et la droite dans le discours. De cette façon, dans la campagne de 2007, Nicolas Sarkozy mène le jeu face à Ségolène Royal en transgressant les frontières de la droite et de la gauche et les lignes de partage idéologiques, en récupérant des thématiques de gauche (travail, pouvoir d’achat, mérite républicain). On assiste donc à une désidéologisation de la vie politique, (accentuée d’ailleurs par le contexte, et les différentes cohabitations), qui nuit à un rassemblement des centres, et favorise donc leur éparpillement. En effet, il paraît difficile de se proclamer « ni… ni » quand le clivage entre la droite et la gauche devient poreux. Alors, le centrisme trouve difficilement un espace politique autonome, et les petites formations qui s’en réclament se trouvent écartelées entre deux pôles qui se rapprochent.

III. Un électorat complexe


A. Un électorat composite.

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L’électorat centriste est difficile à définir, tant il est lui-même éparpillé. On a pu dire, génériquement que le profil de l’électeur centriste était plutôt proche de celui de l’électeur de droite. (En effet dans les années 60-70, on remarque que les travailleurs indépendants se tournaient pour une grande part vers le centrisme (1965 = 38% électorat Lecanuet) ; les agriculteurs représentaient le gros des bataillons jusqu’en 1973, suivant l’implantation de la pratique catholique ; les femmes plutôt âgées.).

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Mais aujourd’hui l’électorat à changé, il y a une mutation du comportement des électeurs (part 2), ainsi, le profil, la sociologie des électeurs du centre a changé. Pour le montrer, nous allons prendre comme exemple l’électorat de F. Bayrou en 2007, qui en comptabilisant 6.75 millions de voix, dépassait de beaucoup son score de 2002.

Pendant la campagne présidentielle, la géographie du vote est d’abord celle de l’implantation traditionnelle du centre droit (Bretagne, Ouest intérieur, Alsace, diagonale Bayonne/Chambéry) ; la carte correspond alors à celle de R. Barre en 1988. Mais, si 75% des sympathisants UDF ont voté pour lui, ces derniers ne représentent que 14% de ses électeurs. La composition de son électorat a perdu la plupart des caractéristiques classiques de la sociologie de l’électorat de droite (pratique religieuse). En revanche, ses nouvelles caractéristiques le rapproche plus de la gauche (sur représentation des jeunes, couches intermédiaires, sans religion). (Cependant, il ne semble pas avoir réussi de percée parmi les fonctionnaires (20% d
entre eux votent Bayrou), même si les professeurs (31%),les instituteurs (28%) et les professionnels de la santé (32%) lui ont apporté un soutien significativement supérieur à celui du reste de la population.) La proximité entre électorat socialiste et centriste sexplique toutefois largement par leur similitude sociologique. On peut ainsi distinguer trois sous groupes au profil « typé » au sein de l’électorat de Bayrou : ceux qui ne se distinguent presque pas de ceux de S. Royal (« Bayrou de gauche ») ; des libéraux de droite (1/3 de cet électorat) ; et un groupe plutôt conservateur (¼ de l’électorat).
La sociologie de ces électorats confirme largement ces interprétations (cf.tableau 4). Les jeunes et les professions intermédiaires se retrouvent prioritairement parmi les « Bayrou de gauche » quand les personnes âgées et les sans diplôme forment larmature des « conservateurs ». De même, les libéraux regroupent bien à la fois les plus éduqués des électeurs Bayrou de même que les catholiques pratiquants. On voit donc que Bayrou doit son score à un électorat composite, et difficile à concilier, ce qui peut expliquer l’éparpillement des centres aujourd’hui, récupérant chacun une part des aspirations de cet électorat. Mais on voit que ce score ne s’est pas confirmé dans les élections suivantes, la réponse peut donc être cherché dans les comportements politiques des électeurs.

B. Un électorat volatil.
Aujourd’hui, il semble qu’un changement du comportement politique des électeurs se soit produit. Face à la désidéologisation, émerge un profil d’électeur plus consumériste, ou « zappeur », tel que l’ont défini P. Habert et A. Lancelot. Cet électeur est donc utilitariste, et se positionne alors en fonction de l’intérêt qu’il peut tirer du vote pour tel ou tel candidat. On remarque que cet électeur est souvent plutôt jeune, mobile, et diplômé, ce qui le rapproche de l’électeur de Bayrou au 1er tour de 2007. Ainsi, le fait que sont score semble avoir été davantage un sursaut qu’un résultat pérenne, peut s’expliquer par les comportements politiques des électeurs. Puisque l’électorat centriste est composite, et si on prend en compte la volatilité de cet électorat, on peut penser que c’est un facteur de l’éparpillement des centres, chaque tendance cherchant à s’attirer les sympathies d’une part de l’électorat.

De plus, on remarque qu’à coté des « centres de vocation » dont on a parlé durant l’exposé, il existe un autre centre, dit « d’indifférence ». Ce centre regroupe des électeurs marqués par un désintérêt de la politique, votant au centre pour l’idée de compromis, loin des idéologies d’inspirations radicales ou démocrates-chrétiennes. Par ce désintérêt de la politique, cet électorat est d’autant plus volatil, et influençable, s’attachant davantage aux personnalités.