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jeudi 8 décembre 2011

Regard sur Djibouti

Intro :

Dernière-née d'une famille de riches bourgeois commerçants, Jane Dieulafoy est née le 29 juin 1851, à Toulouse. Elle se marie en 1870 à elle fait la connaissance de Marcel Dieulafoy (1844-1920), jeune ingénieur des ponts et chaussées, passionné d'art et d'archéologie.

En 1879, le couple Dieulafoy entreprend un premier voyage en Perse, pendant lequel Jane tient " son Journal ", prenant des notes, des photos et des croquis sur tous les aspects du pays qu'elle traverse, archéologique aussi bien que sociologique. De retour à Paris, son récit paraît en œuvre complète en 1887 sous le titre La Perse, la Chaldée, la Susiane.

Fin 1883, les Dieulafoy repartent pour la Perse pour fouiller la cité de Suse. En 1888 elle publie le journal de cette mission sous le titre A Suse, journal des fouilles 1884-1886, dont le texte que nous allons étudier est extrait.

Elle publia ensuite des romans, d’autres récits d’expéditions et donna des Conférence à l’Odéon.

En 1914, elle s’embarquât pour le Maroc afin de suivre son mari, affecté à Rabat au poste de colonel du génie. Mais en mauvaise santé, elle dut être rapatriée en France, et mourut en 1916 à Toulouse.

Le texte que nous allons étudier est donc issu du journal d’une intellectuelle. De type descriptif, il nous présente un regard porté sur Obock, confetti d’Empire acquis en 1862, terre d’environ 100 km², détaché du reste des possessions françaises.

Le texte, daté du 3 janvier 1884, s’inscrit dans un contexte particulier de la colonisation française de l’Afrique. En effet, les années 1880-1885 furent des années cruciales de la colonisation, des entreprises furent alors menées sur tous les points où la France avait d’anciens droits ou de vieilles ambitions. C’était le cas du territoire d’Obock. Après l’installation des britanniques à Aden en 1839, et le percement du canal de Suez en 1859, le ministre de l’Algérie et des colonies, Jérôme Bonaparte, cherche à créer un établissement dans cette région appelée à devenir une grande voie de passage. Après la mort d’Henri Lambert, il revint au capitaine de vaisseau Fleuriot de Langle de poursuivre les relations avec Abou-Bekr, chef de Zeilah, pour acquérir un emplacement dans le Golfe de Tadjoura. Ainsi, un traité est signé le 11 mars 1862, cédant à la France, pour 10 000 thalaris le territoire d’Obock, sur la rive nord de la baie de Tadjoura. Cependant, il n’y eut pas de prise de possession effective du territoire d’Obock par la France avant 1881. Mais en 1883 les Anglais fermèrent l'accès du port d'Aden aux Français. Il fallait à la marine française une escale de ravitaillement sur la route d'Extrême Orient. La France décide donc l'installation d'une escale maritime et d'un dépôt de ravitaillement à Obock Cependant quelques entreprises commerciales devancèrent la politique française, en 1874, Pierre Arnoux fonda une factorie à Obock, et créa la Compagnie franco-Ethiopienne.

Ce texte nous donne donc une vision de ce territoire par le prisme des réflexions d’une intellectuelle et exploratrice française, il permet de se demander si Obock en janvier 1884 paraissait une « colonie inutile » comme la caractérise Henri BRUNSCHWIG, ou si elle pouvait être pouvait se montrer une colonie précieuse? Pour étudier cette question, nous verrons d’abord la présentation du territoire d’Obock tel que Jane Dieulafoy nous la montre, puis nous verrons qu’ en 1884, on assiste à un
second souffle de l’expansion française dans la Corne de l’Afrique et l’intérêt stratégique d’Obock.

I. Présentation de la colonie d’Obock

A. Le territoire d’Obock : une terre inhospitalière.

Sous la plume de Jane Dieulafoy, le territoire d’Obock apparaît particulièrement inhospitalier.

è Elle décrit tout d’abord un paysage rocheux, à la géologie tourmentée « A l'horizon courent des montagnes qui s'étendent du nord-est au sud-ouest et s'infléchissent vers le sud, entre Obock et Tadjoura. » (l.6-7) ; puis elle poursuit en nous indiquant de quel type de roche il s’agit « prolongement volcanique des côtes de la mer Rouge » (l.7). En effet, le territoire d’Obock se situe dans ce qu’on nomme la Rift Valley, donc dans une zone de volcanisme important. Il résulte de ce phénomène un paysage marqué par des zones d’effondrement, bordés de régions plus élevées. En plus de ces roches volcaniques, Dieulafoy évoque « un plateau madréporique » (l.8), qui sont des calcaires coralliens. Elle insiste sur cette caractéristique du paysage « Nous gravissons la falaise, formée de dépôts madréporiques » (l.53) ; « Une chaîne de montagnes d'un accès difficile sépare Obock » (l.84) ; « Encore un espace rocheux » (l. 59). Cette insistance nous montre qu’il s’agit là d’une des principales caractéristique du paysage d’Obock.

è (l.11-12) « quelques arbres noueux, une dépression verdie par de chétifs palétuviers, le lit d'un torrent desséché » et « 30 degrés centigrades. Cette température hivernale » (l.23-24) , par ces évocations, Jane Dieulafoy nous montre également qu’il s’agit d’une région aride, en effet, la plaine côtière d’Obock est caractérisée par une longue saison pluvieuse, correspondant à la saison fraîche qui va de novembre à avril, et une petite saison pluvieuse coïncidant avec la saison chaude, de juillet à septembre. Cette région connaît un climat de type tropical, aride ou semi-aride, qui varie selon l'altitude, Obock se situant dans une région basse (-100m sous le niveau de la mer) les conditions climatiques y sont rudes et inhospitalières.

è On remarque ensuite quelques observations sur les plantes environnantes « des mimosas noueux au feuillage fin et clairsemé » (l.29). Cette observation nous permet de constater les conséquences de ce climat sur la végétation, Jane Dieulafoy rapporte qu’on lui fit « admirer l'emplacement d'un potager où je vois trois choux et une douzaine de laitues » (l.56-7). On remarque donc bien que la culture à Obock est difficile, en raison du temps et du type de sol qu’on y trouve, on peut ainsi conclure à une terre où les conditions de vie semblent difficiles, et même hostiles.

Ainsi, quand Jane Dieulafoy considère l’apport que pourrait représenter Obock pour la métropole en terme d’agriculture, elle conclue que cette colonie « ne saurait être bien prospère dans un pays pourvu de torrents sans eau, de rochers sans terre végétale, d'une atmosphère sans nuage, d'un soleil sans pitié ni merci. » (l.80-81).

En effet, la politique fondait alors de grands espoirs sur les ressources coloniales, il s’agissait d’assurer un ravitaillement constant en matières premières exotiques dont la demande ne cesse de croitre. Par exemple, des territoires du Congo, laissés en concessions aux négociants pour l’exploitation des bois exotiques.

è Cependant, la difficultés des conditions de vie à Obock peut expliquer certains aspects des modes de vie de ses habitants, tels que Diane Dieulafoy nous les croque.

B. Un portrait des Danakils.

è Dans son journal, Jane Dieulafoy nous livre un portrait des habitants du territoire d’Obock, les « Danakils » (l.39). C’est le nom sous lequel les tribus arabes du Yémen connaissent les Afars, les Danakils sont davantage connus sous ce nom.

è A son arrivée sur la terre ferme, Jane Dieulafoy décrit les habitations indigènes « 
une trentaine de huttes couvertes d'étoffes de poil de chèvre ou formées de nattes en feuilles de palmier suspendues aux plus grosses branches » (l.29-30). Ces habitations paraissent rudimentaires, mais cela peut s’expliquer par le mode de vie des danakils, en effet, ces derniers sont nomades, et vivent en « camps », réunissant plusieurs huttes, chacune abritant la descendance patrilinéaire d’une famille. On peut donc estimer qu’au moment du passage de Jane, de nombreux Danakils était à Obock.

è Puis l’auteure ajoute qu’ « Autour de ces habitations primitives sont couchés des vaches très petites, fort maigres, et de superbes moutons blancs à tête noire, qui sembleraient parents des chèvres leurs voisines, s'ils n'avaient le poil ras et la queue développée » (l.31-32). En effet, les Danakils sont un peuple de pasteurs, l’élevage est pour eux essentiel ; ainsi, à sa naissance, chaque enfant reçoit une femelle de chaque cheptel, qui sont appelées à devenir la base du futur cheptel de l’enfant.

è Elle nous croque ensuite les indigènes qu’elle croise, notamment les femmes : « Les femmes mûres, plus couvertes que leurs maris, s'enroulent dans des étoffes de laine, tout en laissant épaules et bras nus. La tête, protégée par une toison que les coquettes s'efforcent de natter, est décorée d'un paquet de cotonnade plié en forme de chaperon plus ou moins fantaisiste. » (l.34-6). En effet, on sait que les femmes Danakils, une fois mariées se couvrent la tête, alors qu’au contraire, les jeunes vierges, ne sont vêtues que de longues jupes, ainsi, on peut supposer que les « deux jeunes filles sommairement vêtues » (l. 62), étaient toutes deux « à marier ». Elle décrit également la tenue des hommes qui s’ « entourent le bas des reins d'un pagne; quelques importants ajoutent à ce costume une sorte de toge de calicot blanc. » (l.32), elle ne fait cependant alors aucune référence au « jile », couteau tranchant à lame courbe que les danakils sont réputés toujours porter sur eux. Jane note alors que le costume des enfants «se réduit à une amulette attachée autour du cou. » (l.38).

è Dans son portrait, Jane fait des Danakils des « Chasseurs adroits, pêcheurs habiles, coureurs rapides » (l.39). On remarque une certaine insistance sur leur habileté dans l’eau puisqu’elle remarque la présence de « deux ou trois barques indigènes » (l.14), ce qui montre qu’ils savent naviguer, au moins sur de petites distances, suffisamment pour pêcher. La comparaison qu’elle effectue (l. 19-21) entre les Danakils et les européens vient appuyer cet idée puisque les premiers « courent vers la plage, entrent dans l'eau jusqu'aux genoux et accostent le chaland de charbon. » ; alors que les seconds «enlèvent leurs souliers, retroussent leurs pantalons et barbotent pendant vingt minutes avant d'atteindre de petites embarcations ».

è Cependant, selon Jane Dieulafoy, les Danakils « joignent à ces qualités une cruauté et une fourberie dont ils se vantent tout les premiers [...]La mort d'un adversaire vulgaire donne le droit de porter une année durant la plume noire plantée dans la chevelure; une plume blanche, valable dix ans, est octroyée au vainqueur d'un lion ou d'un Européen. » (l.39-43). Ainsi, les Afars en plus d’être des pasteurs nomades, sont aussi des guerriers. La violence, dans leur système sociologique joue un rôle important comme le montre le fait de porter des emblèmes de leurs « prouesses », on peut ajouter qu’au bout de dix morts, ils ont le droit de porter un bracelet de fer.

è Cependant si les Danakils obéissent à des « moeurs sanguinaires », ou guerrières, il peut s’agir d’une réaction face aux européens conquérants.



C. « Cruauté et fourberie » (l. 40) des Danakils, ou hostilité au colonisateur?

è Jane Dieulafoy dépeint donc les danakils comme des indigènes cruels et fourbes (l.40), obéissant à des « mœurs sanguinaires » (l.44). Mais il faut savoir que dés l’installation des français à Obock en 1862, il s’est instauré entre les nomades afars et les administrateurs métropolitains une incompréhension d’ordre socioculturelle et juridique. Le colon qui avait de l’Africain l’image du cultivateur de l’Afrique de l’Ouest ou du berger Maghrébin a eu du mal à situer ces nomades jugés farouches, indépendants et ne se pliant à aucun travail manuel, nomadisant entre les territoires éthiopiens djiboutien, au mépris des frontières établies. Les premiers contacts entre les représentants de l’Empire français et les nomades afars furent rudes. Les quelques massacres de marchands aventuriers et d’administrateurs, leur ont définitivement conféré une image de guerriers indisciplinés et farouches. Ainsi en 1859, Henri Lambert fut assassiné (pris dans un conflit entre notables régionaux).

è Cette image des indigènes favorise le sentiment d’insécurité à Obock : « L'année dernière ils (les européens) n'osaient se hasarder sans armes entre leurs maisons, à peine distantes de quarante mètres. […] Aujourd'hui encore, Obock offre si peu de sécurité, que le gouverneur va coucher tous les soirs à bord du Pingouin, tandis que le corps de garde lève le pont-levis dès la tombée de la nuit et se barricade de son mieux. » (l.48-52). Il faut dire que dans cette région, dans les années 1880, plusieurs étrangers furent victimes d’acte de pillage et d’agression entrant dans un processus de vendetta. Ainsi, le massacre de P. ARNOUX (négociant) en mars 1882, affecta les quelques expatriés français d’Obock. Ce meurtre fut différemment interprété : pour certains, il entrait dans la coutume du prix du sang ( 1881 : tue un voleur è demande de réparation / Arnoux se juge dans son bon droit). En effet, les Danakils pratiquent la loi du talion (cette justice est rendue par une assemblée des anciens qui réunie les chefs de clans d’une tribu). Cela pourrait expliquer l’anecdote que rapporte l’auteure : « Un des plus vieux colons, M. Arnous, dont les danakils prétendaient avoir à se plaindre, n'avait- il pas été frappé sur le seuil même de la factorerie? », car s’ils avaient réellement de quoi se plaindre de ce colon, leur coutume les autorisait à se « venger »

è (l.64-67) Jane Dieulafoy rapporte que comme ils considéraient « 
deux jeunes filles sommairement vêtues », « un Dankali, la lance à la main, les traits bouleversés, sort d'un épais buisson et se précipite vers nous ; à la vue de nos revolvers il s'arrête dans l'attitude d'un fauve prêt à bondir. Voilà comment on salue des amis à dix minutes du drapeau tricolore. » Il convient ici de rappeler que ces deux jeunes filles, d’après les informations donnaient devaient être de jeunes vierges. De plus, on sait, grâce à un compte rendu de Léonce Lagarde (gouverneur d’Obock juin 1884) de ses missions à Obock en 1883 et 1884, que toutes les criques depuis Obock, servaient de ports d’embarquement pour les esclaves, expédiés vers les côtes asiatiques. Dans la ville de Tadjoura seule, on vendait plus de 2000 enfants par an. On peut donc penser que la réaction du Danakil, n’était pas alors une simple expression de la violence de ce peuple, mais qu’elle était dictée par de la peur pour ces jeunes filles, que c’était davantage une attitude protectrice, comme tend a le montrer l’expression « les traits bouleversés. 

II. Second souffle de l’expansion française dans la Corne de l’Afrique et l’intérêt stratégique d’Obock.



A. Un espace encore mal maîtrisé.

è Jane Dieulafoy rapporte que le territoire d’Obock « fut acquis des chefs indigènes en 1862, par le commandant Fleuriot de Langle, et payé dix mille thalaris, soit à peu près cinquante mille francs. Sa superficie et de vingt-cinq lieues carrées. » (l. 9-10). Cependant, si la possession française est ancienne, il n’y eut pas de prise de possession effective du territoire d’Obock par la France avant 1881. Ainsi, quand Jane y met le pied en 1884, la France n’a commencé à prendre le territoire en main que depuis quelques années.

è à plusieurs reprises, elle nomme des bâtiments que les colons ont fait construire : « tour de Soleillet », cette dernière fut construite pour assurer la sécurité de la concession à laquelle P. Soleillet (connu par ses explorations dans le nord de l’Afrique et au Sénégal) et être, le cas échéant, en mesure de repousser une attaque. Cette Tour se trouve dans la factorie Godin, c’est-à-dire dans la concession de la compagnie française d’Obock, dont Soleillet était employé. Elle cite également « une maison appartenant à la Compagnie concessionnaire des dépôts de charbon » et la « concession Menier » ; Jules Mesnier, de la Compagnie des Steamers de l’Ouest, obtint en 1883, le droit de livrer à la flotte française du charbon, cet établissement ouvrit son dépôt en 1884. Elle rapporte également l’existence d’un « hôpital en construction, » en effet, puisque la France compte occuper davantage Obock, il est nécessaire d’y établir un hôpital, mais en raison du peu de temps depuis lequel cette décision est prise, sa construction n’est pas achevée. Elle remarque ensuite un « amoncellement de houille exposé au grand air » (l.13) ; donc pas encore exploité. Tout ces éléments nous permettent de penser qu’en janvier 1884, Obock n’est pas encore un territoire totalement maîtrisé, ou optimisé.

è De plus, elle note qu’elle ne voit « navire qui vive dans cet étrange port de mer. » (16-17), mis à part le Tonkin, le brandon ( stationnaire de la colonie), le Pingouin (vapeur de l‘Etat), un chaland à charbon et quelques barques. Le peu de navires qu’elle croise, et l’absence de tout autre matériel ( par exemple grue de levage) nous permet de distinguer en creux, que le port d’Obock n’est pas encore aménagé de manière à attirer les marins.

è Cependant, elle remarque la présence « d'un chemin de fer Decauville » (l.26) c’est un chemin de fer constitué par une voie portative de faible écartement (0,40 à 0,60 m). ceci est une marque de modernité puisque ce procédé fut mis au point en 1875, cela nous montre le regain d’intérêt pour la région, mais il est tout de suite contre contrebalancé par la description de « la grand-route de la factorerie » qui n’est qu’un « sentier tracé dans le sable » (l.26-27).

De plus comme nous l’avons vu, ce territoire ne semble en 1884, n’être que peu sécurisé.

è Ainsi, le territoire d’obock semble alors mal maîtrisé par les français, cependant, il présente des intérêts.

B. L’intérêt d’un port de charbonnage et d’un comptoir commercial français dans la Corne de l’Afrique.

Ce petit territoire en raison de sa position géographique présentait des intérêts stratégiques pour la France. En effet, Jane Dieulafoy le localise ( l.3-4) : « Nous venons de laisser à bâbord la petite île de Périm, piton dénudé qui commande en souverain le détroit de Bab-el-Mandeb ». Ce détroit entre la Mer Rouge et l’Océan Indien était en la possession des britanniques, qui par là, détenaient la principale escale de charbonnage entre ces deux espaces maritimes : Aden.

è En 1884, la France sortie de son long recueillement, est entrée dans un processus d’expansion. Jane Dieulafoy présente dans ce texte ces réflexions quant à l’intérêt d’Obock, qui « considéré au point de vue militaire, peut devenir une colonie précieuse. C'est un dépôt de charbon où nos navires trouveraient, à défaut d'Aden, à s'approvisionner de combustible. » (l. 68-69). Ainsi, cet établissement avait un intérêt stratégique, il devait devenir sur la principale route impériale, un port d’escale et de ravitaillement. Il fallait donc créer un mouvement de navigation pour détourner les bâtiments d’Aden. Ce qui imposait d’y établir un dépôt de charbon, et qui explique l’approbation du gouvernement français à l’entreprise de Mesnier. Cet industriel obtenait le droit de livrer du charbon à la flotte française en 1883, grâce au soutien du sous-secrétaire d’Etat au ministère de la Marine et des Colonies ( Félix Faure).

è Cet intérêt répond à des arguments d’ordre stratégiques, mais aussi financiers : (l.72-76), Jane considère qu’ « En temps de paix, grâce à Obock, on espère s'affranchir des charbons anglais, des transports anglais. […] pour l'avenir. Aujourd'hui Obock coûte chaque année plus de quatre cent mille francs et reçoit, en fait de marchandises françaises, du charbon venu en droite ligne de Cardiff, apporté par des bateaux construits en Angleterre, chargés à Swansea et qui n'ont de français que le pavillon, l'équipage et un port d'attache où ils relâchent de temps à autre, afin de toucher la prime à la navigation ». En effet, si après 1862, la préoccupation de ne pas inquiéter les anglais, explique la limitation des ambitions sur ce territoire du ministre des affaires étrangères ; en 1884, la France fait le choix de la reprise en main d’Obock, au nom de l’indépendance stratégique, mais, aussi parce qu’il n’est plus envisageable pour cette puissance coloniale d’enrichir sa rivale, en versant dans les caisses d’Aden une somme annuelle de 600 000 francs pour les dépenses en vivres, en matériel et en combustible des bâtiments français.

è De plus, ce territoire présente un intérêt commercial que Jane Dieulafoy souligne: « Reste le commerce avec le Choa et l'Abyssinie, les caravanes, la poudre d'or, les dents d'éléphant, les blés, les orges!» (l. 82-83). En effet, le chemin par la terre, la roue des caravanes laissait entrevoir de grandes richesses, la littérature depuis l’explorateur Rochet-Héricourt dans son ouvrage Voyage en Abyssinie. Un aventurier français au royaume du Choa : 1842-1843, confortait le mythe d’un eldorado Ethiopien. Il aurait alors était avantageux pour la France de susciter un flux commercial par Obock, en attirant les caravanes, et de cette façon, capter les richesses de l’Ethiopie méridionale.

C. Des potentialités contrebalancée.

Cependant, malgré ces potentialités, le site d’Obock présente des inconvénients à un établissement prospère.

è Tout d’abord, Jane explique « qu'il existe pourtant une grande différence entre les charbons anglais d'Aden et les charbons, non moins anglais, d'Obock. A Aden la tonne coûte vingt francs de moins et arrive à bord des navires cinq fois plus vite qu'à Obock. » (l. 76-78). Cette différence de prix peut s’expliquer par le manque d’infrastructures facilitant l’exploitation du dépôt de charbon par le port. En effet, dans un rapport du 3 janvier 1884 remis au ministère de la Marine, le commandant de l’ Infernet explique que ce projet susciterait des dépenses considérables, et qu’il faudrait « se contenter d’un ponton de capacité suffisante, complètement aménagé de façon à recevoir les marchandises de façon à ce que la manutention eut lieu par des moyens mécaniques. ». Donc en 1884, ces infrastructures n’existent pas. De plus, l’eau puisée à Obock était trop sulfureuse pour les chaudières des navires, il fallait donc la distiller, ce qui augmentait le prix de revient de cette matière première : 30 fcs à Obock / 20 fcs à Aden.

è De plus, la géographie et le climat enlèvent à ce territoire tout intérêt agricole comme nous l’avons vu dans la partie I.
è Enfin, Jane Dieulafoy observe
(l. 86-87), que « Malheureusement l'avenir commercial de notre colonie est aussi précaire que ses destinées agricoles. Une chaîne de montagnes d'un accès difficile sépare Obock des routes de caravanes conduisant en Abyssinie, barre le passage à l'Aouach, grande rivière qui seule eût permis d'effectuer des transports à bon marché, et ferme l'accès de cette partie du littoral ». Ainsi, aux inconvénients du site portuaire, s’en ajoutait d’autres, le site d’ Obock, comportait d’insurmontables obstacles naturels, mais aussi humains. Les caravanes qui empruntaient cette route étaient régulièrement la cible d’attaques de clans Danakils. Ainsi, les caravanes délaissaient Obock « au profit de Tadjoura, situé à plusieurs étapes au sud. », en effet ce site était le meilleur terminus des pistes caravanières. Il était de plus le centre de commerce traditionnel avec le royaume de Choa. Cette ville était mieux située que l’établissement d’Obock, trop excentré par rapport à cette voie commerciale.

è Elle rapporte enfin que la France est en 1884, « dans les meilleurs termes avec le roi du Choa, Ménélik, vassal de Sa Majesté le roi Jean d'Abyssinie. Ce prince chercherait même à nouer des relations amicales avec la France. » (l. 88-89), cette « amitié » entre le roi du Choa et la France peut être un avantage quant au commerce par voie de terre. En effet, les sultans des peuples se trouvant sur la route entre le Choa et la baie de Tadjoura se considèrent comme les vassaux du roi de Choa. Ainsi, en cultivant ces bons rapports avec Ménélik II, la France pourrait trouver une route ouverte et relativement sure. Cependant, cette solution semble alors risquée puisque Ménélik II était vassal du roi Jean d’Abyssinie, et qu’il est à craindre qu’un rapprochement entre son vassal et la France ne l’engage à se lier avec les anglais, ce qui serait alors contraire aux intérêts français.

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