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jeudi 8 décembre 2011

liberté des Anciens et liberté des modernes selon Benjamin Constant.

Liberté des Anciens et liberté des Modernes selon Benjamin Constant (1819)

Intro :
Depuis le XVIIIe siècle, l’image des sociétés antiques tient une place importante dans les idées politiques émises par les philosophes tels que Rousseau qui voit dans la Cité antique non seulement une organisation de la société meilleure que celle de son temps, mais un véritable âge d'or. De même, dans son ouvrage de 1791, De l’Esprit des lois, Montesquieu, consacre plusieurs chapitres à ces sociétés ( Rome, Sparte, Athènes). Quelques décennies plus tard, Benjamin Constant effectue lui aussi une comparaison entre ces sociétés et celle de son temps.

Benjamin Constant est né à Lausanne en 1767, dans une famille protestante. Orphelin de mère, il vécu une enfance mouvementée et devint en 1783 étudiant à l’université d’Edimbourg, dés 1785, il commença un ouvrage sur le religions qui l’occupa toute sa vie. Deux ans plus tard il revint sur le continent, et en 1794 il rencontra Mme de Staël, qui l’influença fortement. En 1799, Sieyès le fit entrer au Tribunat, malgré l’opposition de Bonaparte, il y apparu comme leader de l’opposition libérale, ce qui lui valu d’être éliminé du Tribunat en 1802. Durant la période de l’Empire (1804-1814), il rédigea une grande partie de son œuvre littéraire, à traves l’Europe, ainsi que plusieurs écrits politiques (1806 : Principes de politique ; 1813 : De l’esprit de conquête et de l’usurpation ; 1814 : textes sur la liberté de la presse). Durant l’épisode des Cents Jours (mars-juin 1815), il rédigea l’Acte additionnel à la Constitution (surnommée la Benjamine), et fut nommé au Conseil d’Etat. A partir de cet épisode, il rédigea et publia de nombreux écrits politiques, et à partir de 1819, il est élu député. A la suite de la révolution de juillet (1830), il soutint le nouveau roi Louis -Philippe, mais il mourut le 8 décembre de cette même année.

Durant ces années d’intense activité politique, il donna des discours à l’Athénée royal de Paris, qui était une société d’enseignement libre à destination du grand public, héritière du Lycée républicain. C’est là qu’il prononça son discours de 1819, où il opère une distinction entre la liberté des Modernes et celle des Anciens. Cependant, ce discours semble n’être qu’une reprise d’idées déjà arrêtées et muries par Benjamin Constant en 1819, puisqu’on trouvait cette distinction dans Principe de politique qui fut publié en 1815, mais était déjà rédigé en 1806!

Les idées que Benjamin Constant expose dans ce discours, ont donc étaient pensées dans un contexte où la France vivait une époque troublée : depuis 1789, la France avait connu 6 « constitutions », et 5 régimes politiques (monarchie constitutionnelle, République, Directoire, Consulat (puis à vie), et l’Empire ; il ne faut pas oublier l’épisode de la Terreur, qui a constitué un traumatisme. En 1819, (en 13ans), deux autres textes constitutionnels, avaient vu le jour (Charte 1814 = Restauration (en application après les Cents jours) et Acte additionnel 1815). Les débats quand à la meilleure forme de gouvernement étaient donc toujours d’actualité, c’est pourquoi dans ce discours, Benjamin Contant s’applique à souligner les problème des schémas politiques établis à contre temps, à partir de ceux de l’Antiquité.

Le texte que nous allons étudier est un extrait de ce discours, qui se place au début de la démonstration de Constant, à la suite de cet extrait, il tire les conséquences de la distinction qu’il met en exergue.

La construction de l’extrait du discours reflète la comparaison de deux conceptions de la liberté : celle des Modernes (l. 1 à 13) et celle des Anciens (l. 14 à 28), enfin il montre que l’une et l’autre son diamétralement opposées.

A la lumière de ce discours, on peut se demander quel est la conception de la société libérale de Benjamin Constant ; pour étudier cette question nous verrons d’abord quelle place l’individu occupe dans la société, puis nous verrons que les conceptions de la participations diffèrent selon ces deux modèles.

I. Le positionnement de l’individu dans la société.A. Les sociétés modernes : l' « époque des individus ».

Ce rôle nouveau de la personne, parait si essentiel à Constant que, quand il cherche un nom approprié aux temps Modernes, il les désigne comme « l’époque des individus » (Histoire abrégée de l’égalité).

Dans cet extrait, Benjamin Constant commence par s’interroger sur la conception de la liberté que pouvait avoir « un Anglais, un Français, un habitant des États-Unis de l’Amérique » (l.1) ; de cette manière, il définit ce qu’il entend par « les modernes » (l. 35), ce sont donc les sociétés où les droits et libertés des individus sont garantis par des déclarations de Droits : pour les Etats Unis le Bill of Rights de 1789 (en application en 1791) ; pour l’Angleterre il s’agit du Bill of Rights de 1689 ; et pour la France, il s’agit de la DDHC de 1789.

De la ligne 3 à 5, il énumère des droits de l’individu contre l’arbitraire ainsi « C’est pour chacun le droit de n’être soumis qu’aux lois, de ne pouvoir être arrêté, ni détenu, ni mis à mort, ni maltraité d’aucune manière, par l’effet de la volonté arbitraire d’un ou plusieurs individus. » L’idée de « volonté arbitraire d’un ou plusieurs » est une mise en cause des régimes monarchiques et oligarchiques, mais peut peut-être aussi faire référence à des évènements qui lui sont plus proches et mettre en cause la démocratie : ainsi, pour Constant, il faut préciser des limites à la souveraineté. Par exemple, le régime issu de la RF était bien démocratique en ce qu’il procédait de la souveraineté du peuple ; pourtant c’est aussi un régime qui peut devenir despotique, comme l’a montré la Terreur.

Mais la liberté Moderne selon Constant comprend aussi des droits privés qu’il développe l. 5 à 10 : ces derniers recouvrent la liberté d’actions, de convictions, d’expression. Ces libertés figuraient déjà dans sa définition de la liberté individuelle en 1806 (Principes : « la liberté n’est autre chose que ce que les individus ont le droit de faire, et que la société n’a pas le droit d’empêcher »). Certains de ces droits permettent de mieux appréhender le libéralisme de l’auteur : par exemple le droit « de disposer de sa propriété, d’en abuser même » (l.6). Ce droit peut être perçu comme une protection de la liberté individuelle, il était assuré par des statuts juridiques (Fr DDHC art17). C’est une liberté en ce sens qu’il permet d’exercer sa liberté. Ce pendant, pour Constant, ce n’est pas comme pour Locke par exemple un droit naturel, il constitue surtout un rempart contre les empiètements de la sphère publique (société politique) sur la sphère privée (société civile).

Le droit de « choisir son industrie et de l’exercer » (l.5-6), est le seul à avoir était rajouté par l’auteur par rapport à son texte de 1806, il fait ici référence au travail du producteur, en effet, à ce moment, Constant pense que l’activité de production mérite des égards car elle appartient en propre à l’individu, par opposition aux biens transmis par héritage ( « la propriété est la valeur de la chose; l’industrie est la valeur de l’homme »).

On voit donc que selon Constant, l’individu, avec ses libertés et ses droits, est au centre de la société moderne, il n’est pas qu’une partie d’un tout, mais une entité à part entière.

B. Les sociétés anciennes : l‘individu soumis à la société.
Pour Benjamin Constant, dans les sociétés anciennes, l’individu est « circonscrit, observé, réprimé dans tous ses mouvements » (l.31), il fait ici références aux pressions sociales et à l’exiguïté dans lequel l’individu est confiné. Ceci s’explique par le fait que dans ces sociétés, le citoyen était subordonné à la cité comme le montre le vocabulaire utilisé par Benjamin Constant « assujettissement complet de l’individu à l’autorité de l’ensemble» (l.20) et « l’individu […] est esclave dans tous ses rapports privés » (l.30). Pour lui, c’est l’absence de droits individuels qui caractérise les sociétés anciennes.

De la l.22 à 24, il précise que « Rien n’est accordé à l’indépendance individuelle, ni sous le rapport des opinions, ni sous celui de l’industrie, ni surtout sous le rapport de la religion », quant aux causes de cette absence, on peut d’abord supposer que les Anciens n’avaient pas connaissance de ces droits individuels. Ici, Constant reprend une idée de N. Condorcet (1743-94), philosophe, homme politique et mathématicien français, il écrivait que « Les anciens n’avaient aucune notion de ce genre de liberté […]. Ils auraient voulu ne laisser aux hommes que les idées, que les sentiments qui entraient dans le système du législateur ».

Dans ces sociétés, la distinction qu’opère Constant entre liberté civile et liberté politique n’existait pas, de sorte que tout, ou presque, était politique. L’absence de droits individuels était donc surtout le résultat de l’organisation de la cité, davantage que une restriction de la part des pouvoirs.

Si rien n’est accordé à l’individu « sous le rapport des opinions » (l.23), c’est parce que les votent étaient (sauf pour l’ostracisme) à main levée, ce qui poussait au conformisme. En revanche, pour ce qui est « de l’industrie » (l.23), si en Lacédémone ce genre d’activité était interdite à tout citoyen, à Athènes, le politique ne gérait pas toujours le commerce qui était le plus souvent laissé aux métèques, cependant, ces tâches restaient « infamantes ».

Cela étant, cette absence de libertés individuelles n’était pas perçue comme un manque par la Ancien, (contrairement au jugement que Constant semble porter), car dans leur vision de la société, tout ce qui pouvait avoir un intérêt pour le citoyen s’inscrivait dans la sphère civique. Ainsi, le développement de Constant sur « la religion »(l.24), concernant la « faculté de choisir son culte » (l.25) s’applique bien aux sociétés anciennes puisque la religion y était « civique », les citoyens étaient tenus d’assister aux cérémonies qui tenaient une place prépondérante dans la vie de la Cité.

Ainsi quand Constant affirme que « Les lois règlent les moeurs, et comme les moeurs tiennent à tout, il n’y a rien que les lois ne règlent."
(l. 27-28), on peut le comprendre en admettant que dans les sociétés antiques la distinction entre les deux sphères n’existe pas.

donc dans ces sociétés, l’individu était fondu dans le corps social, l’individualité du citoyen n’était même pas une notion connue à l’époque, voilà une des raisons pour lesquelles Constant réfute ce modèle pour les sociétés modernes où l’individu « s’est émancipé ». Cependant, dans les sociétés antiques, il y avait bien des libertés, elles venaient de la participation au pouvoir politique.

II. La participation au pouvoir politique.
A. La condition de la liberté antique.

Benjamin commence par donner une définition de la liberté des anciens qui selon lui « consistait à exercer collectivement, mais directement plusieurs parties de la souveraineté toute entière » (l.14), la liberté du citoyen antique correspond donc à sa capacité à exercer le pouvoir.
Il défini ensuite quelques unes des libertés des citoyens antiques qui pouvaient :

« délibérer sur la place publique, de la guerre et de la paix [à conclure avec des étrangers des traités d‘alliance, à voter les lois, à prononcer les jugements, à examiner les comptes, les actes, la gestion de magistrats, à les paraitre devant tout un peuple, à les mettre en accusation, à les absoudre. » (l. 15 à 18). On voit donc que la société investissait directement les pouvoirs au corps social, il s’agissait d’une démocratie directe où la souveraineté était exercée collectivement. Mais, cet état de fait dans les cités venaient des caractéristiques propres de la Cité : les populations y sont restreintes ; et de plus, le corps de citoyen n’était pas universel, ce statut n’était attribué qu‘aux hommes libres. Ainsi, en réalité seuls quelques milliers d’hommes exerçaient cette souveraineté. Ce corps social restreint permettait l’application du principe de démocratie directe et collective, (mais dans une acceptation réduite puisque corps des citoyens réduit.)
on voit donc la distinction que fait Constant entre l’individu « portion du corps collectif »(l. 32), qui alors peut, de concert avec les autres « portions » exercer sa souveraineté ; et l’individu « soumis au corps collectif », qui peut alors subir la souveraineté des autres.

La liberté des anciens peut s’apparenter à la « volonté générale » de Rousseau, qui émane de l’individu, mais lui est supérieur, car elle ne doit pas être la somme des intérêts particuliers, mais une sorte de consensus tendant toujours au bien commun. Chez Rousseau, on trouve l’articulation de cette pensée de l’opposition des anciens et des modernes, mais pas les termes. Les anciens sont pour lui, des citoyens (parties d’un tout) « unités fractionnaires »; et les modernes, deviennent dans le meilleur des cas, des hommes, donc chacun un individu, des « entiers absolus » (Emile, 1762).

Cette conception du modèle antique comme un idéal était reprise par des penseurs de la période moderne, qui imaginent un fonctionnement similaire ; pour eux, l’engagement en politique est une vertu des citoyens antiques (pas une nécessité). Constant veut prouver l’inapplicabilité de ce modèle dans les sociétés modernes

B. Un idéal inapplicable aux sociétés modernes.
Dans sa comparaison, Benjamin Constant défini la liberté politique pour les citoyens dans la société moderne, c’est donc « le droit pour chacun, d’influer sur l’administration du gouvernement, soit par la nomination de tous ou de certains fonctionnaires, soit par des représentations, des pétitions, des demandes, que l’autorité est plus ou moins obligée de prendre en considération. » (l. 10-14). L’utilisation du verbe « influer » , par opposition à celui de « participer », qu’il utilise pour les Anciens, montre que l’ action des modernes en politique est indirecte. En effet, le citoyen moderne « perdu dans la multitude » ne peut exercer sa souveraineté de la même manière que le citoyen Ancien qui lui, est une partie d’un corps réduit. Dans les sociétés modernes, refondées par le phénomène révolutionnaires, le corps des citoyens est considérablement élargi par rapport à celui des sociétés antiques, ce qui ne permet plus l’exercice collectif de la souveraineté de manière directe.
L’auteur propose ensuite des moyens d’action et d’expression politique plus adaptés au contexte moderne, il affirme que cet exercice ne peut se faire que par l’intermédiaire de représentants. C’est pourquoi il soutient que le citoyen moderne n’est « souverain qu’en apparence » (l. 36) , que « sa souveraineté est restreinte, presque toujours suspendue » (l.36-7). C’est selon lui, ici que réside l’erreur de Rousseau : le corps civique étant étendu, et les individus jouissant de libertés individuelles, le corps social devient hétérogène, « l’aliénation totale de chaque associé avec tout ses droits à toute la communauté » n’est pas jugé acceptable ; donc en pratique, la volonté générale est exercée par des représentants, soit quelques individus, alors tous les abus sont possibles (« quelques uns profitent exclusivement du sacrifice du reste »). C’est pour cela que Constant pense qu’une limite doit être dressée entre la vie privée d’un individu et la sphère de compétence civique.

Constant précise que « si à époques fixes, mais rares […], il exerce cette souveraineté, ce n’est jamais que pour l’abdiquer. » (l. 37-38), ainsi, il revient sur l’idée de représentation : les citoyens exercent leur liberté politique lors des scrutins, et de cette manière, ils transfèrent (momentanément) leur compétence politique à un ou plusieurs représentants.

Cependant, on a vu que Constant propose aussi des moyens d’interpellation du pouvoir par « des pétitions, des demandes » (l. 12), par conséquent, si l’individu cède une part de ses droits politique en se faisant représenter, il n’est pas totalement démuni face à son représentant, il lui reste des moyens d’influer sur le gouvernement, une parcelle de droits politiques.
Benjamin Constant explique ici pourquoi selon lui, le système ancien de démocratie directe ne peut plus être appliqué à la période moderne, il recommande donc un système d’exercice de la souveraineté représentatif, dans lequel l’individu garde des moyens d’expression directe.

Conclusion : En conclusion, dans ce discours, Benjamin Constant, défini les libertés politiques et individuelles des individus modernes, il fonde sa réflexion sur une comparaison avec celles des Anciens. L’auteur s’oppose ici à un retour à cet idéal antique mis en avant par certains penseurs, en démontrant que dans le contexte moderne, le retour est impossible. En revanche, il ne rejette pas l’idée antique selon laquelle chaque individu participe à la liberté politique, simplement il faut que cette liberté soit « en phase », combinée aux libertés individuelles modernes. Les libertés individuelles sont primordiales dans les sociétés modernes mais elles doivent être garanties par la liberté politique de chacun. Il accepte l’idée de séparation et d’équilibre des pouvoirs élaborée par Montesquieu, mais y ajoute un élément : en effet, si pour Montesquieu, il ne faut pas attribuer tout le pouvoir à une seule autorité (un seul ou plusieurs individus), Constant va plus loin, pour lui, il ne faut pas attribuer tout le pouvoir. Les libertés individuelles doivent être garanties, pour former un rempart face au pouvoir. Il dissocie donc la sphère publique sur laquelle la société exerce son contrôle et la sphère privée que l’individu gère lui-même (distinction inexistante chez les Anciens). De cette manière, il articule le principe démocratique de souveraineté du peuple, avec le principe libéral de limitation du pouvoir par la garantie des droits individuels : la souveraineté populaire doit être respectueuse des libertés individuelles dans le contexte moderne. C’est cette théorie qui en fait « un des Saints Pères de l’église libérales » (M. Gauchet), et « la plus haute autorité du libéralisme » (R. Rémond).

Cependant, dans l’histoire des lettres françaises, il n’occupe pas une place correspondant au prestige de ces « appellations », cet oubli relatif est peut être du au fait que sa pensée corresponde d’assez prés à nos démocraties actuelles, elle parait presque naturelle, ce qui rend difficile sa perception. Il se peut aussi cet oubli soit du à ce que l’auteur, engagé dans la vie politique de son temps a négligé la publication de ses écrits ( certains texte politiques fondamentaux ne verront le jour qu’en 1980 et 1991).

Regard sur Djibouti

Intro :

Dernière-née d'une famille de riches bourgeois commerçants, Jane Dieulafoy est née le 29 juin 1851, à Toulouse. Elle se marie en 1870 à elle fait la connaissance de Marcel Dieulafoy (1844-1920), jeune ingénieur des ponts et chaussées, passionné d'art et d'archéologie.

En 1879, le couple Dieulafoy entreprend un premier voyage en Perse, pendant lequel Jane tient " son Journal ", prenant des notes, des photos et des croquis sur tous les aspects du pays qu'elle traverse, archéologique aussi bien que sociologique. De retour à Paris, son récit paraît en œuvre complète en 1887 sous le titre La Perse, la Chaldée, la Susiane.

Fin 1883, les Dieulafoy repartent pour la Perse pour fouiller la cité de Suse. En 1888 elle publie le journal de cette mission sous le titre A Suse, journal des fouilles 1884-1886, dont le texte que nous allons étudier est extrait.

Elle publia ensuite des romans, d’autres récits d’expéditions et donna des Conférence à l’Odéon.

En 1914, elle s’embarquât pour le Maroc afin de suivre son mari, affecté à Rabat au poste de colonel du génie. Mais en mauvaise santé, elle dut être rapatriée en France, et mourut en 1916 à Toulouse.

Le texte que nous allons étudier est donc issu du journal d’une intellectuelle. De type descriptif, il nous présente un regard porté sur Obock, confetti d’Empire acquis en 1862, terre d’environ 100 km², détaché du reste des possessions françaises.

Le texte, daté du 3 janvier 1884, s’inscrit dans un contexte particulier de la colonisation française de l’Afrique. En effet, les années 1880-1885 furent des années cruciales de la colonisation, des entreprises furent alors menées sur tous les points où la France avait d’anciens droits ou de vieilles ambitions. C’était le cas du territoire d’Obock. Après l’installation des britanniques à Aden en 1839, et le percement du canal de Suez en 1859, le ministre de l’Algérie et des colonies, Jérôme Bonaparte, cherche à créer un établissement dans cette région appelée à devenir une grande voie de passage. Après la mort d’Henri Lambert, il revint au capitaine de vaisseau Fleuriot de Langle de poursuivre les relations avec Abou-Bekr, chef de Zeilah, pour acquérir un emplacement dans le Golfe de Tadjoura. Ainsi, un traité est signé le 11 mars 1862, cédant à la France, pour 10 000 thalaris le territoire d’Obock, sur la rive nord de la baie de Tadjoura. Cependant, il n’y eut pas de prise de possession effective du territoire d’Obock par la France avant 1881. Mais en 1883 les Anglais fermèrent l'accès du port d'Aden aux Français. Il fallait à la marine française une escale de ravitaillement sur la route d'Extrême Orient. La France décide donc l'installation d'une escale maritime et d'un dépôt de ravitaillement à Obock Cependant quelques entreprises commerciales devancèrent la politique française, en 1874, Pierre Arnoux fonda une factorie à Obock, et créa la Compagnie franco-Ethiopienne.

Ce texte nous donne donc une vision de ce territoire par le prisme des réflexions d’une intellectuelle et exploratrice française, il permet de se demander si Obock en janvier 1884 paraissait une « colonie inutile » comme la caractérise Henri BRUNSCHWIG, ou si elle pouvait être pouvait se montrer une colonie précieuse? Pour étudier cette question, nous verrons d’abord la présentation du territoire d’Obock tel que Jane Dieulafoy nous la montre, puis nous verrons qu’ en 1884, on assiste à un
second souffle de l’expansion française dans la Corne de l’Afrique et l’intérêt stratégique d’Obock.

I. Présentation de la colonie d’Obock

A. Le territoire d’Obock : une terre inhospitalière.

Sous la plume de Jane Dieulafoy, le territoire d’Obock apparaît particulièrement inhospitalier.

è Elle décrit tout d’abord un paysage rocheux, à la géologie tourmentée « A l'horizon courent des montagnes qui s'étendent du nord-est au sud-ouest et s'infléchissent vers le sud, entre Obock et Tadjoura. » (l.6-7) ; puis elle poursuit en nous indiquant de quel type de roche il s’agit « prolongement volcanique des côtes de la mer Rouge » (l.7). En effet, le territoire d’Obock se situe dans ce qu’on nomme la Rift Valley, donc dans une zone de volcanisme important. Il résulte de ce phénomène un paysage marqué par des zones d’effondrement, bordés de régions plus élevées. En plus de ces roches volcaniques, Dieulafoy évoque « un plateau madréporique » (l.8), qui sont des calcaires coralliens. Elle insiste sur cette caractéristique du paysage « Nous gravissons la falaise, formée de dépôts madréporiques » (l.53) ; « Une chaîne de montagnes d'un accès difficile sépare Obock » (l.84) ; « Encore un espace rocheux » (l. 59). Cette insistance nous montre qu’il s’agit là d’une des principales caractéristique du paysage d’Obock.

è (l.11-12) « quelques arbres noueux, une dépression verdie par de chétifs palétuviers, le lit d'un torrent desséché » et « 30 degrés centigrades. Cette température hivernale » (l.23-24) , par ces évocations, Jane Dieulafoy nous montre également qu’il s’agit d’une région aride, en effet, la plaine côtière d’Obock est caractérisée par une longue saison pluvieuse, correspondant à la saison fraîche qui va de novembre à avril, et une petite saison pluvieuse coïncidant avec la saison chaude, de juillet à septembre. Cette région connaît un climat de type tropical, aride ou semi-aride, qui varie selon l'altitude, Obock se situant dans une région basse (-100m sous le niveau de la mer) les conditions climatiques y sont rudes et inhospitalières.

è On remarque ensuite quelques observations sur les plantes environnantes « des mimosas noueux au feuillage fin et clairsemé » (l.29). Cette observation nous permet de constater les conséquences de ce climat sur la végétation, Jane Dieulafoy rapporte qu’on lui fit « admirer l'emplacement d'un potager où je vois trois choux et une douzaine de laitues » (l.56-7). On remarque donc bien que la culture à Obock est difficile, en raison du temps et du type de sol qu’on y trouve, on peut ainsi conclure à une terre où les conditions de vie semblent difficiles, et même hostiles.

Ainsi, quand Jane Dieulafoy considère l’apport que pourrait représenter Obock pour la métropole en terme d’agriculture, elle conclue que cette colonie « ne saurait être bien prospère dans un pays pourvu de torrents sans eau, de rochers sans terre végétale, d'une atmosphère sans nuage, d'un soleil sans pitié ni merci. » (l.80-81).

En effet, la politique fondait alors de grands espoirs sur les ressources coloniales, il s’agissait d’assurer un ravitaillement constant en matières premières exotiques dont la demande ne cesse de croitre. Par exemple, des territoires du Congo, laissés en concessions aux négociants pour l’exploitation des bois exotiques.

è Cependant, la difficultés des conditions de vie à Obock peut expliquer certains aspects des modes de vie de ses habitants, tels que Diane Dieulafoy nous les croque.

B. Un portrait des Danakils.

è Dans son journal, Jane Dieulafoy nous livre un portrait des habitants du territoire d’Obock, les « Danakils » (l.39). C’est le nom sous lequel les tribus arabes du Yémen connaissent les Afars, les Danakils sont davantage connus sous ce nom.

è A son arrivée sur la terre ferme, Jane Dieulafoy décrit les habitations indigènes « 
une trentaine de huttes couvertes d'étoffes de poil de chèvre ou formées de nattes en feuilles de palmier suspendues aux plus grosses branches » (l.29-30). Ces habitations paraissent rudimentaires, mais cela peut s’expliquer par le mode de vie des danakils, en effet, ces derniers sont nomades, et vivent en « camps », réunissant plusieurs huttes, chacune abritant la descendance patrilinéaire d’une famille. On peut donc estimer qu’au moment du passage de Jane, de nombreux Danakils était à Obock.

è Puis l’auteure ajoute qu’ « Autour de ces habitations primitives sont couchés des vaches très petites, fort maigres, et de superbes moutons blancs à tête noire, qui sembleraient parents des chèvres leurs voisines, s'ils n'avaient le poil ras et la queue développée » (l.31-32). En effet, les Danakils sont un peuple de pasteurs, l’élevage est pour eux essentiel ; ainsi, à sa naissance, chaque enfant reçoit une femelle de chaque cheptel, qui sont appelées à devenir la base du futur cheptel de l’enfant.

è Elle nous croque ensuite les indigènes qu’elle croise, notamment les femmes : « Les femmes mûres, plus couvertes que leurs maris, s'enroulent dans des étoffes de laine, tout en laissant épaules et bras nus. La tête, protégée par une toison que les coquettes s'efforcent de natter, est décorée d'un paquet de cotonnade plié en forme de chaperon plus ou moins fantaisiste. » (l.34-6). En effet, on sait que les femmes Danakils, une fois mariées se couvrent la tête, alors qu’au contraire, les jeunes vierges, ne sont vêtues que de longues jupes, ainsi, on peut supposer que les « deux jeunes filles sommairement vêtues » (l. 62), étaient toutes deux « à marier ». Elle décrit également la tenue des hommes qui s’ « entourent le bas des reins d'un pagne; quelques importants ajoutent à ce costume une sorte de toge de calicot blanc. » (l.32), elle ne fait cependant alors aucune référence au « jile », couteau tranchant à lame courbe que les danakils sont réputés toujours porter sur eux. Jane note alors que le costume des enfants «se réduit à une amulette attachée autour du cou. » (l.38).

è Dans son portrait, Jane fait des Danakils des « Chasseurs adroits, pêcheurs habiles, coureurs rapides » (l.39). On remarque une certaine insistance sur leur habileté dans l’eau puisqu’elle remarque la présence de « deux ou trois barques indigènes » (l.14), ce qui montre qu’ils savent naviguer, au moins sur de petites distances, suffisamment pour pêcher. La comparaison qu’elle effectue (l. 19-21) entre les Danakils et les européens vient appuyer cet idée puisque les premiers « courent vers la plage, entrent dans l'eau jusqu'aux genoux et accostent le chaland de charbon. » ; alors que les seconds «enlèvent leurs souliers, retroussent leurs pantalons et barbotent pendant vingt minutes avant d'atteindre de petites embarcations ».

è Cependant, selon Jane Dieulafoy, les Danakils « joignent à ces qualités une cruauté et une fourberie dont ils se vantent tout les premiers [...]La mort d'un adversaire vulgaire donne le droit de porter une année durant la plume noire plantée dans la chevelure; une plume blanche, valable dix ans, est octroyée au vainqueur d'un lion ou d'un Européen. » (l.39-43). Ainsi, les Afars en plus d’être des pasteurs nomades, sont aussi des guerriers. La violence, dans leur système sociologique joue un rôle important comme le montre le fait de porter des emblèmes de leurs « prouesses », on peut ajouter qu’au bout de dix morts, ils ont le droit de porter un bracelet de fer.

è Cependant si les Danakils obéissent à des « moeurs sanguinaires », ou guerrières, il peut s’agir d’une réaction face aux européens conquérants.



C. « Cruauté et fourberie » (l. 40) des Danakils, ou hostilité au colonisateur?

è Jane Dieulafoy dépeint donc les danakils comme des indigènes cruels et fourbes (l.40), obéissant à des « mœurs sanguinaires » (l.44). Mais il faut savoir que dés l’installation des français à Obock en 1862, il s’est instauré entre les nomades afars et les administrateurs métropolitains une incompréhension d’ordre socioculturelle et juridique. Le colon qui avait de l’Africain l’image du cultivateur de l’Afrique de l’Ouest ou du berger Maghrébin a eu du mal à situer ces nomades jugés farouches, indépendants et ne se pliant à aucun travail manuel, nomadisant entre les territoires éthiopiens djiboutien, au mépris des frontières établies. Les premiers contacts entre les représentants de l’Empire français et les nomades afars furent rudes. Les quelques massacres de marchands aventuriers et d’administrateurs, leur ont définitivement conféré une image de guerriers indisciplinés et farouches. Ainsi en 1859, Henri Lambert fut assassiné (pris dans un conflit entre notables régionaux).

è Cette image des indigènes favorise le sentiment d’insécurité à Obock : « L'année dernière ils (les européens) n'osaient se hasarder sans armes entre leurs maisons, à peine distantes de quarante mètres. […] Aujourd'hui encore, Obock offre si peu de sécurité, que le gouverneur va coucher tous les soirs à bord du Pingouin, tandis que le corps de garde lève le pont-levis dès la tombée de la nuit et se barricade de son mieux. » (l.48-52). Il faut dire que dans cette région, dans les années 1880, plusieurs étrangers furent victimes d’acte de pillage et d’agression entrant dans un processus de vendetta. Ainsi, le massacre de P. ARNOUX (négociant) en mars 1882, affecta les quelques expatriés français d’Obock. Ce meurtre fut différemment interprété : pour certains, il entrait dans la coutume du prix du sang ( 1881 : tue un voleur è demande de réparation / Arnoux se juge dans son bon droit). En effet, les Danakils pratiquent la loi du talion (cette justice est rendue par une assemblée des anciens qui réunie les chefs de clans d’une tribu). Cela pourrait expliquer l’anecdote que rapporte l’auteure : « Un des plus vieux colons, M. Arnous, dont les danakils prétendaient avoir à se plaindre, n'avait- il pas été frappé sur le seuil même de la factorerie? », car s’ils avaient réellement de quoi se plaindre de ce colon, leur coutume les autorisait à se « venger »

è (l.64-67) Jane Dieulafoy rapporte que comme ils considéraient « 
deux jeunes filles sommairement vêtues », « un Dankali, la lance à la main, les traits bouleversés, sort d'un épais buisson et se précipite vers nous ; à la vue de nos revolvers il s'arrête dans l'attitude d'un fauve prêt à bondir. Voilà comment on salue des amis à dix minutes du drapeau tricolore. » Il convient ici de rappeler que ces deux jeunes filles, d’après les informations donnaient devaient être de jeunes vierges. De plus, on sait, grâce à un compte rendu de Léonce Lagarde (gouverneur d’Obock juin 1884) de ses missions à Obock en 1883 et 1884, que toutes les criques depuis Obock, servaient de ports d’embarquement pour les esclaves, expédiés vers les côtes asiatiques. Dans la ville de Tadjoura seule, on vendait plus de 2000 enfants par an. On peut donc penser que la réaction du Danakil, n’était pas alors une simple expression de la violence de ce peuple, mais qu’elle était dictée par de la peur pour ces jeunes filles, que c’était davantage une attitude protectrice, comme tend a le montrer l’expression « les traits bouleversés. 

II. Second souffle de l’expansion française dans la Corne de l’Afrique et l’intérêt stratégique d’Obock.



A. Un espace encore mal maîtrisé.

è Jane Dieulafoy rapporte que le territoire d’Obock « fut acquis des chefs indigènes en 1862, par le commandant Fleuriot de Langle, et payé dix mille thalaris, soit à peu près cinquante mille francs. Sa superficie et de vingt-cinq lieues carrées. » (l. 9-10). Cependant, si la possession française est ancienne, il n’y eut pas de prise de possession effective du territoire d’Obock par la France avant 1881. Ainsi, quand Jane y met le pied en 1884, la France n’a commencé à prendre le territoire en main que depuis quelques années.

è à plusieurs reprises, elle nomme des bâtiments que les colons ont fait construire : « tour de Soleillet », cette dernière fut construite pour assurer la sécurité de la concession à laquelle P. Soleillet (connu par ses explorations dans le nord de l’Afrique et au Sénégal) et être, le cas échéant, en mesure de repousser une attaque. Cette Tour se trouve dans la factorie Godin, c’est-à-dire dans la concession de la compagnie française d’Obock, dont Soleillet était employé. Elle cite également « une maison appartenant à la Compagnie concessionnaire des dépôts de charbon » et la « concession Menier » ; Jules Mesnier, de la Compagnie des Steamers de l’Ouest, obtint en 1883, le droit de livrer à la flotte française du charbon, cet établissement ouvrit son dépôt en 1884. Elle rapporte également l’existence d’un « hôpital en construction, » en effet, puisque la France compte occuper davantage Obock, il est nécessaire d’y établir un hôpital, mais en raison du peu de temps depuis lequel cette décision est prise, sa construction n’est pas achevée. Elle remarque ensuite un « amoncellement de houille exposé au grand air » (l.13) ; donc pas encore exploité. Tout ces éléments nous permettent de penser qu’en janvier 1884, Obock n’est pas encore un territoire totalement maîtrisé, ou optimisé.

è De plus, elle note qu’elle ne voit « navire qui vive dans cet étrange port de mer. » (16-17), mis à part le Tonkin, le brandon ( stationnaire de la colonie), le Pingouin (vapeur de l‘Etat), un chaland à charbon et quelques barques. Le peu de navires qu’elle croise, et l’absence de tout autre matériel ( par exemple grue de levage) nous permet de distinguer en creux, que le port d’Obock n’est pas encore aménagé de manière à attirer les marins.

è Cependant, elle remarque la présence « d'un chemin de fer Decauville » (l.26) c’est un chemin de fer constitué par une voie portative de faible écartement (0,40 à 0,60 m). ceci est une marque de modernité puisque ce procédé fut mis au point en 1875, cela nous montre le regain d’intérêt pour la région, mais il est tout de suite contre contrebalancé par la description de « la grand-route de la factorerie » qui n’est qu’un « sentier tracé dans le sable » (l.26-27).

De plus comme nous l’avons vu, ce territoire ne semble en 1884, n’être que peu sécurisé.

è Ainsi, le territoire d’obock semble alors mal maîtrisé par les français, cependant, il présente des intérêts.

B. L’intérêt d’un port de charbonnage et d’un comptoir commercial français dans la Corne de l’Afrique.

Ce petit territoire en raison de sa position géographique présentait des intérêts stratégiques pour la France. En effet, Jane Dieulafoy le localise ( l.3-4) : « Nous venons de laisser à bâbord la petite île de Périm, piton dénudé qui commande en souverain le détroit de Bab-el-Mandeb ». Ce détroit entre la Mer Rouge et l’Océan Indien était en la possession des britanniques, qui par là, détenaient la principale escale de charbonnage entre ces deux espaces maritimes : Aden.

è En 1884, la France sortie de son long recueillement, est entrée dans un processus d’expansion. Jane Dieulafoy présente dans ce texte ces réflexions quant à l’intérêt d’Obock, qui « considéré au point de vue militaire, peut devenir une colonie précieuse. C'est un dépôt de charbon où nos navires trouveraient, à défaut d'Aden, à s'approvisionner de combustible. » (l. 68-69). Ainsi, cet établissement avait un intérêt stratégique, il devait devenir sur la principale route impériale, un port d’escale et de ravitaillement. Il fallait donc créer un mouvement de navigation pour détourner les bâtiments d’Aden. Ce qui imposait d’y établir un dépôt de charbon, et qui explique l’approbation du gouvernement français à l’entreprise de Mesnier. Cet industriel obtenait le droit de livrer du charbon à la flotte française en 1883, grâce au soutien du sous-secrétaire d’Etat au ministère de la Marine et des Colonies ( Félix Faure).

è Cet intérêt répond à des arguments d’ordre stratégiques, mais aussi financiers : (l.72-76), Jane considère qu’ « En temps de paix, grâce à Obock, on espère s'affranchir des charbons anglais, des transports anglais. […] pour l'avenir. Aujourd'hui Obock coûte chaque année plus de quatre cent mille francs et reçoit, en fait de marchandises françaises, du charbon venu en droite ligne de Cardiff, apporté par des bateaux construits en Angleterre, chargés à Swansea et qui n'ont de français que le pavillon, l'équipage et un port d'attache où ils relâchent de temps à autre, afin de toucher la prime à la navigation ». En effet, si après 1862, la préoccupation de ne pas inquiéter les anglais, explique la limitation des ambitions sur ce territoire du ministre des affaires étrangères ; en 1884, la France fait le choix de la reprise en main d’Obock, au nom de l’indépendance stratégique, mais, aussi parce qu’il n’est plus envisageable pour cette puissance coloniale d’enrichir sa rivale, en versant dans les caisses d’Aden une somme annuelle de 600 000 francs pour les dépenses en vivres, en matériel et en combustible des bâtiments français.

è De plus, ce territoire présente un intérêt commercial que Jane Dieulafoy souligne: « Reste le commerce avec le Choa et l'Abyssinie, les caravanes, la poudre d'or, les dents d'éléphant, les blés, les orges!» (l. 82-83). En effet, le chemin par la terre, la roue des caravanes laissait entrevoir de grandes richesses, la littérature depuis l’explorateur Rochet-Héricourt dans son ouvrage Voyage en Abyssinie. Un aventurier français au royaume du Choa : 1842-1843, confortait le mythe d’un eldorado Ethiopien. Il aurait alors était avantageux pour la France de susciter un flux commercial par Obock, en attirant les caravanes, et de cette façon, capter les richesses de l’Ethiopie méridionale.

C. Des potentialités contrebalancée.

Cependant, malgré ces potentialités, le site d’Obock présente des inconvénients à un établissement prospère.

è Tout d’abord, Jane explique « qu'il existe pourtant une grande différence entre les charbons anglais d'Aden et les charbons, non moins anglais, d'Obock. A Aden la tonne coûte vingt francs de moins et arrive à bord des navires cinq fois plus vite qu'à Obock. » (l. 76-78). Cette différence de prix peut s’expliquer par le manque d’infrastructures facilitant l’exploitation du dépôt de charbon par le port. En effet, dans un rapport du 3 janvier 1884 remis au ministère de la Marine, le commandant de l’ Infernet explique que ce projet susciterait des dépenses considérables, et qu’il faudrait « se contenter d’un ponton de capacité suffisante, complètement aménagé de façon à recevoir les marchandises de façon à ce que la manutention eut lieu par des moyens mécaniques. ». Donc en 1884, ces infrastructures n’existent pas. De plus, l’eau puisée à Obock était trop sulfureuse pour les chaudières des navires, il fallait donc la distiller, ce qui augmentait le prix de revient de cette matière première : 30 fcs à Obock / 20 fcs à Aden.

è De plus, la géographie et le climat enlèvent à ce territoire tout intérêt agricole comme nous l’avons vu dans la partie I.
è Enfin, Jane Dieulafoy observe
(l. 86-87), que « Malheureusement l'avenir commercial de notre colonie est aussi précaire que ses destinées agricoles. Une chaîne de montagnes d'un accès difficile sépare Obock des routes de caravanes conduisant en Abyssinie, barre le passage à l'Aouach, grande rivière qui seule eût permis d'effectuer des transports à bon marché, et ferme l'accès de cette partie du littoral ». Ainsi, aux inconvénients du site portuaire, s’en ajoutait d’autres, le site d’ Obock, comportait d’insurmontables obstacles naturels, mais aussi humains. Les caravanes qui empruntaient cette route étaient régulièrement la cible d’attaques de clans Danakils. Ainsi, les caravanes délaissaient Obock « au profit de Tadjoura, situé à plusieurs étapes au sud. », en effet ce site était le meilleur terminus des pistes caravanières. Il était de plus le centre de commerce traditionnel avec le royaume de Choa. Cette ville était mieux située que l’établissement d’Obock, trop excentré par rapport à cette voie commerciale.

è Elle rapporte enfin que la France est en 1884, « dans les meilleurs termes avec le roi du Choa, Ménélik, vassal de Sa Majesté le roi Jean d'Abyssinie. Ce prince chercherait même à nouer des relations amicales avec la France. » (l. 88-89), cette « amitié » entre le roi du Choa et la France peut être un avantage quant au commerce par voie de terre. En effet, les sultans des peuples se trouvant sur la route entre le Choa et la baie de Tadjoura se considèrent comme les vassaux du roi de Choa. Ainsi, en cultivant ces bons rapports avec Ménélik II, la France pourrait trouver une route ouverte et relativement sure. Cependant, cette solution semble alors risquée puisque Ménélik II était vassal du roi Jean d’Abyssinie, et qu’il est à craindre qu’un rapprochement entre son vassal et la France ne l’engage à se lier avec les anglais, ce qui serait alors contraire aux intérêts français.

comment expliquer aujourd'hui l'éparpillement des centres?

INTRO :è
Le mot « centre » apparaît à la fin du XIII° siècle. Le terme « centriste », lui, ne fait son entrée officielle en politique qu’en 1922. Quant à celui de « centrisme », il est utilisé pour la première fois en 1936.
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Selon Olivier Nay, le terme de « centrisme » ne renvoie pas à un courant politique ou doctrinal établi, mais désigne les formations politiques et les groupes parlementaires, qui dans les systèmes multipartites occupent le centre de l’échiquier politique. De la même manière, pour Maurice Duverger, le centre, dans la France républicaine « n’est que le lieu géométrique où se rassemblent les modérés des tendances opposées », donc de droite et de gauche. Les « centristes » ne s’identifient ni au socialisme, ni au conservatisme, et se caractérisent donc par la recherche d’une voie médiane, on remarque surtout un fort rejet des extrêmes.
Par définition, donc, le centre semble hétérogène, et multiple, il conviendrait donc plutôt d’employer le pluriel et de parler « des Centres ».
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Sous la IV République, malgré les diverses tendances qu’on remarque au sein du centre, ce dernier semblait tout puissant : faisant et défaisant les majorités. En effet, le système de scrutin proportionnel de ce régime favorisait la multiplication des partis, la dispersion des voix. Ainsi, les différents centres prenaient un rôle de « parti charnière », appartenant aux coalitions parlementaires et gouvernementales, ils étaient alors indispensables à la constitution d‘une majorité. Alors, deux principaux partis illustraient le centre : le MRP et le Parti Radical, c’est-à-dire une aile droite et une aile gauche.
è
En 1958, les centres se divisaient toujours entre ces deux partis.
En 1965 le MRP s’élargit en une coalition centriste indépendant, le Centre Démocrate, alors qu’en que pour les législative 1967, le Parti Radical participe à une coalition de gauche. En 1969, le CD se divise, et une partie rallie la majorité pompidolienne.
En 1971, les centristes fondent le Mouvement réformateur, réunissant de nombreuses formations centristes, mais ce dernier intègre en 1974 la majorité giscardienne. Alors que les centres qui n’y avaient pas pris part soutiennent alors J. Chaban-Delmas, ou présentent leur propre candidat. On constate donc une intégration d’une partie des centriste à la droite qui est consommée en 1978, avec la création de l’Union pour la Démocratie Française (UDF) qui réunie la droite non gaulliste. Dans le même temps, une autre partie des centristes a intégré la gauche, des radicaux signent la programme commun du PC et du PS en 1972, et d’anciens membres du MRP rejoignent le PS en 1974. De plus, l’ »ouverture »du gouvernement Rocard (1988), n’a attiré que des individualités.
Dans l’histoire de la V République, on remarque donc que ces Centres, multiples ont à plusieurs reprise tenté de se regrouper, mais ce sont au final toujours divisés, attirés chacun par un pôle.
è
En 2007, fort de son score à l’élection présidentiel (18,57%), F. Bayrou, a tenté de créer un Centre indépendant, le MoDem (fin 2007) ; mais la majorité des élus de l’ex-UDF ont conservé un positionnement centre-droit en créant le Nouveau Centre (Hervé Morin) (2008). Ce ne sont pas les seuls « centres », d’autres personnalités s’en revendiquent : Jean Arthuis (préside l'Alliance centriste), J.M Bocquel (La Gauche Moderne), entre autres. Il existe donc aujourd’hui plusieurs centres en France, qui ne sont pas réunis au sein d’une même structure, notamment depuis l’éclatement de l’UDF.
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Face à ce constat, on peut se demander à quoi est du cet « essaimage » des centres? Pour étudier cette question, nous verrons tout d’abord les faiblesses « intrinsèques » des centres, puis les facteurs extérieurs aux centres eux même, et qui les fragilisent, enfin, nous nous intéresserons à l’importance de l’électorat complexe du centre comme facteur explicatif.

I. Des faiblesses intrinsèques.
A. Hétérogénéité des traditions.
è
On l’a donc vu, les centrismes se caractérisent par un double refus : « ni de gauche, ni de droite », ni individualiste, ni collectiviste ; désireux d’échapper au clivage droite/gauche. De cette façon, en 1980, F. Bayrou déclare : »nous résistons à la gauche au nom de la personne humaine, nous résistons à la droite au nom de la solidarité ».

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Cependant, une doctrine ne peut se fonder sur un refus. Ainsi, pour Pierre Méhaignerie, en 1984, « il faut que le centrisme ne se définisse pas comme l’expression d’un double refus […] mais qu’il s’incarne dans une vision positive de l’avenir de notre société. D’autre part, il nous faut sur le champ de ce qu’est aujourd’hui le terrain idéologique, aider à l’émergence à l’affirmation et à l’épanouissement de valeurs nouvelles ».

Mais c’est bien là qu’achoppent les centrismes, ces derniers issus de différentes traditions ne défendent pas toujours, selon leur origine, les mêmes « valeurs nouvelles ». En effet, les centrismes se réclament de cultures politiques différentes, il s’agit pour l’essentiel des cultures politiques radicales et démocrates-chrétiennes. La première, est apparue comme une tradition de gauche, se réclamant de la défense du parlementarisme, d’une doctrine sociale originale (promotion par le travail, épargne, école). Or, la gauche à changé avec l’apparition d’une gauche socialiste, faisant alors passer la frontière droite gauche au milieu du courant radical (è des radicaux dans l’UDF/ mouvement des radicaux de gauche).

La démocratie chrétienne, née de la volonté de réforme qui marque le christianisme social, notamment en matière d’expression parlementaire. Le MRP représentait ce centre, la participation de cette formation à des coalitions de droite, montrent sa « droitisation », on se retrouve donc face à deux courants : un centre-droit et un centre-gauche. Ainsi, malgré l’existences de vues communes, leur rapprochement est confronté à des obstacles comme celui qui oppose l’inspiration chrétienne des uns à l’engagement laïque des autres.

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Comme le montrent les débats sur l’école : (loi Savary sous Mitterrand) par exemple, le décret n°2009-427, qui a pour objet, «de reconnaître la valeur des grades et des diplômes canoniques (théologie, philosophie, droit canonique) ou profanes délivrés par les établissements d'enseignement supérieur catholiques reconnus par le Saint-Siège». Par cet accord l'Etat français s'engage à reconnaître sans validation par le ministère de l’éducation nationale les diplômes délivrés par les établissements d’enseignement supérieur habilités par le Saint-Siège. Provoque la réaction de J.M Baylet qui rappelle dans une tribune publié dans le Monde le 21 mai 2009, que « dans une république conséquente, la loi doit respecter la foi, mais la foi ne doit pas dicter la loi. » ; mais ce décret, n’occasionne pas la démission des ministres « d’ouverture » au centre (Morin, Borloo).

(discours de Latran 20/12/2007 : « l’instituteur ne pourra jamais remplacé le curé ou le pasteur » = François Bayrou, président du MoDem, avait dénoncé un discours favorisant le retour de la religion "opium du peuple" mais ne fait pas démissionner H. Morin.).

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On remarque donc plusieurs tendances dans ces centres, JF Sirenelli parle « d’agrégat de cultures politiques » : un courant radical (comme le parti radical de gauche) ; des racines démocrates chrétiennes ; et un courant plus libéral, aujourd’hui incarné par des partis comme le Nouveau Centre ( ceux qui avaient soutenu VGE, et rallié l’UDF en 1978).

B. Des faiblesses héritées : la difficile autonomie.

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A cet handicap d’ordre idéologique, s’ajoute le problème de l’autonomie du centre. En effet, le centre a bien un électorat, environ 8% des français se reconnaissent au centre (septembre 2010) et ne veulent se situer ni dans le bloc de droite, ni dans celui de gauche. Ainsi, ils sont déterminants dans tout scrutin ; cependant, cela ne suffit pas pour un parti qui a vocation gouvernementale (encore faudrait-il qu’un parti réussisse à capter cet électorat aussi divisé que ces représentants). Les Centres sont donc contraints, le plus souvent, d’adopter des stratégies complexes : essayer d’être autonome ; ou se situer directement dans un camp. On peut parler de difficile autonomie, puisque F. Bayrou, en dépit de score à la présidentielle de 2007, (18.6%) ; ne comptabilise pas assez de députés à la législative de la même année pour former un groupe parlementaire, puisqu’il ne comptabilise que 4 députés MoDem.

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De plus, les centres semblent, historiquement, arrimés à la droite, en effet, en mai 2007, une large majorité des députés de l'UDF (23 sur 29 en prenant en compte les apparentés) n'ont pas suivi François Bayrou dans son intention de création du Mouvement démocrate (MoDem), mais ont au contraire défendu une alliance des centristes dans la majorité présidentielle, qui maintiendrait l'UDF au centre-droit. Cette position a été notamment défendue par des personnalités comme Hervé Morin, qui fondèrent le Nouveau Centre en mai 2008. Une autre partie des cadres et militants ont créé l'Alliance centriste ou encore Avenir démocrate, tandis que d'autres ont rejoint le Forum des républicains sociaux, parti associé à l'UMP, ou sont devenus « centristes sans étiquette ».

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On peut aussi remarquer qu’au centre-gauche, la position autonome est aussi difficile à tenir. Par exemple : La candidate PRG à l'élection présidentielle de 2002, Christiane Taubira ne récolte que 2,32 % des voix. De plus, a la suite des élections législatives de 2007, l'ensemble des députés radicaux de gauche siègent comme apparentés au groupe socialiste, radical et citoyen au sein duquel ils constituent un sous-groupe avec des députés divers gauche.

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on voit donc que les centres aujourd’hui, se divisent selon le clivage traditionnel droite- gauche : alors que leur vocation est d’être topographiquement au centre de l‘échiquier politique, ces derniers se retrouvent en marge des coalitions auxquelles ils participent, l’un formant « la gauche de la droite » , et l’autre constituant « la droite de la gauche ». Cependant, des courant des centres refusent de perdre leur individualité, et de disparaitre « entre les mâchoires d’un crocodile » (P. Abelin).

II. Les facteurs extérieurs.


A. Les mécanismes institutionnels implacables.

Mais, les failles internes qui affaiblissent les centres ne sont pas les seuls facteurs qui peuvent être avancés quant à l’explication de son éparpillement. En effet, les mécanismes de la V République ne leur laissent pas de place en tant que force autonome. En 1958, le choix des constituants s’est porté sur le scrutin majoritaire à 2 tours, notamment pour les élections présidentielles et régionales, en raison de son effet stabilisateur, établissant des majorités claires. Ce mode de scrutin permet au multipartisme de subsister au premier tour, cependant, il favorise la bipolarisation au second tour, sous l’effet des alliances et des « marchandages ». En revanche, ceux qui ne souscrivent pas d’alliances sont souvent privés de représentation. Ainsi, on a pu qualifier ce mode de scrutin de « machine à broyer le centre ». Il permet d’assurer une surreprésentation des partis qui peuvent rassembler entre 35 et 45% des suffrages, ce qui favorise le fait majoritaire. Au contraire du scrutin proportionnel, qui en reflétant de plus prés l’électorat rend les centres indispensables à la formation d’une majorité gouvernable. Ce mode de scrutin explique donc pour une part l’éparpillement des centres, puisqu’ils forcent à un choix, dans la logique dualiste induite par les institutions de la V République.

De plus, la place prépondérante donnée au Président de la République, et notamment la sur-légitimité dont il est investit par le Suffrage universel direct lèse les centres. En effet, la Président, une fois élu, doit par son rôle d’arbitre incarner le consensus national. Il est au moins en théorie celui qui dépasse les clivages partisans. Dans les différentes campagnes, les présidentiables, ou personnalités politiques souhaitant l’être ont donc souvent cherché à « chasser » sur les terres du centre.

B. Le recentrage de la vie politique française.
De plus, on constate dans la vie politique française un certain « recentrage » des débats. Même si on assiste à une « re-bipolarisation » depuis quelques années (LUMP et le PS contrôlent 92% des sièges à lAssemblée nationale et constituent un véritable duopole partisan qui domine notre système politique), les débats ont changé.

Tout d’abord, certains critères de distinction entre la droite et la gauche sont devenus avec le temps caducs, comme la question de la nature du régime, par exemple. Mais d’autres sujets ont évolués dans le sens d’un consensus entre ces 2 blocs, comme la question de la construction européenne. Or, ce thème constituait une pièce maîtresse de la « doctrine » du centre. Ainsi, par l’évolution du débat politique, les centres perdent l’exclusivité de certains de leurs rares points d’accord, Ils perdent donc des idées sur lesquelles s’appuyer pour une éventuelle union.

De plus, dans le débat politique on assiste à un certain brouillage entre la gauche et la droite dans le discours. De cette façon, dans la campagne de 2007, Nicolas Sarkozy mène le jeu face à Ségolène Royal en transgressant les frontières de la droite et de la gauche et les lignes de partage idéologiques, en récupérant des thématiques de gauche (travail, pouvoir d’achat, mérite républicain). On assiste donc à une désidéologisation de la vie politique, (accentuée d’ailleurs par le contexte, et les différentes cohabitations), qui nuit à un rassemblement des centres, et favorise donc leur éparpillement. En effet, il paraît difficile de se proclamer « ni… ni » quand le clivage entre la droite et la gauche devient poreux. Alors, le centrisme trouve difficilement un espace politique autonome, et les petites formations qui s’en réclament se trouvent écartelées entre deux pôles qui se rapprochent.

III. Un électorat complexe


A. Un électorat composite.

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L’électorat centriste est difficile à définir, tant il est lui-même éparpillé. On a pu dire, génériquement que le profil de l’électeur centriste était plutôt proche de celui de l’électeur de droite. (En effet dans les années 60-70, on remarque que les travailleurs indépendants se tournaient pour une grande part vers le centrisme (1965 = 38% électorat Lecanuet) ; les agriculteurs représentaient le gros des bataillons jusqu’en 1973, suivant l’implantation de la pratique catholique ; les femmes plutôt âgées.).

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Mais aujourd’hui l’électorat à changé, il y a une mutation du comportement des électeurs (part 2), ainsi, le profil, la sociologie des électeurs du centre a changé. Pour le montrer, nous allons prendre comme exemple l’électorat de F. Bayrou en 2007, qui en comptabilisant 6.75 millions de voix, dépassait de beaucoup son score de 2002.

Pendant la campagne présidentielle, la géographie du vote est d’abord celle de l’implantation traditionnelle du centre droit (Bretagne, Ouest intérieur, Alsace, diagonale Bayonne/Chambéry) ; la carte correspond alors à celle de R. Barre en 1988. Mais, si 75% des sympathisants UDF ont voté pour lui, ces derniers ne représentent que 14% de ses électeurs. La composition de son électorat a perdu la plupart des caractéristiques classiques de la sociologie de l’électorat de droite (pratique religieuse). En revanche, ses nouvelles caractéristiques le rapproche plus de la gauche (sur représentation des jeunes, couches intermédiaires, sans religion). (Cependant, il ne semble pas avoir réussi de percée parmi les fonctionnaires (20% d
entre eux votent Bayrou), même si les professeurs (31%),les instituteurs (28%) et les professionnels de la santé (32%) lui ont apporté un soutien significativement supérieur à celui du reste de la population.) La proximité entre électorat socialiste et centriste sexplique toutefois largement par leur similitude sociologique. On peut ainsi distinguer trois sous groupes au profil « typé » au sein de l’électorat de Bayrou : ceux qui ne se distinguent presque pas de ceux de S. Royal (« Bayrou de gauche ») ; des libéraux de droite (1/3 de cet électorat) ; et un groupe plutôt conservateur (¼ de l’électorat).
La sociologie de ces électorats confirme largement ces interprétations (cf.tableau 4). Les jeunes et les professions intermédiaires se retrouvent prioritairement parmi les « Bayrou de gauche » quand les personnes âgées et les sans diplôme forment larmature des « conservateurs ». De même, les libéraux regroupent bien à la fois les plus éduqués des électeurs Bayrou de même que les catholiques pratiquants. On voit donc que Bayrou doit son score à un électorat composite, et difficile à concilier, ce qui peut expliquer l’éparpillement des centres aujourd’hui, récupérant chacun une part des aspirations de cet électorat. Mais on voit que ce score ne s’est pas confirmé dans les élections suivantes, la réponse peut donc être cherché dans les comportements politiques des électeurs.

B. Un électorat volatil.
Aujourd’hui, il semble qu’un changement du comportement politique des électeurs se soit produit. Face à la désidéologisation, émerge un profil d’électeur plus consumériste, ou « zappeur », tel que l’ont défini P. Habert et A. Lancelot. Cet électeur est donc utilitariste, et se positionne alors en fonction de l’intérêt qu’il peut tirer du vote pour tel ou tel candidat. On remarque que cet électeur est souvent plutôt jeune, mobile, et diplômé, ce qui le rapproche de l’électeur de Bayrou au 1er tour de 2007. Ainsi, le fait que sont score semble avoir été davantage un sursaut qu’un résultat pérenne, peut s’expliquer par les comportements politiques des électeurs. Puisque l’électorat centriste est composite, et si on prend en compte la volatilité de cet électorat, on peut penser que c’est un facteur de l’éparpillement des centres, chaque tendance cherchant à s’attirer les sympathies d’une part de l’électorat.

De plus, on remarque qu’à coté des « centres de vocation » dont on a parlé durant l’exposé, il existe un autre centre, dit « d’indifférence ». Ce centre regroupe des électeurs marqués par un désintérêt de la politique, votant au centre pour l’idée de compromis, loin des idéologies d’inspirations radicales ou démocrates-chrétiennes. Par ce désintérêt de la politique, cet électorat est d’autant plus volatil, et influençable, s’attachant davantage aux personnalités.

dimanche 20 novembre 2011

Rousseau et le contrat social.

Introduction :


"Du contrat social ou Principes du droit politique" est une oeuvre majeure de philosophie politique, écrite par Jean Jacques Rousseau et publiée en 1762 pendant le règne de Louis XV. Rousseau, né à Genève en 1712 et mort en 1778, est un célèbre écrivain et penseur. Ses idées et écrits ont influencé de nombreux protagonistes de la Révolution française et ont marqué ses contemporains qui l'ont adulé ou détesté. En 1762, année de publication du contrat social et de l'Emile (une de ses autres grandes oeuvres) Rousseau est même condamné par le Parlement de Paris pour les propos qu'il tient dans ce dernier ouvrage, et doit s'enfuir. Sa vie est une vie de vagabond. Il est l'un des grands philosophes du contrat social moderne aux côtés de Thomas Hobbes et John Locke, ses prédecesseurs. Notre extrait est tiré du chapitre 6 du Contrat social, qui traite du pacte social. Dans un premier temps, il pose le problème auquel le contrat social doit répondre, à savoir celui du passage pour l'homme de l'état de nature à l'état civil en conservant sa liberté originelle. Il explique ensuite les moyens d'y arriver, les clauses de son contrat, et enfin expose le résultat de l'application de ces clauses. En suivant le raisonnement logique de Rousseau, nous essaierons de comprendre ce qui fait l'originalité de son pacte social. Nous allons donc, dans un premier temps, observer comment Rousseau pose le problème commun à tous les contractualistes du passage de l'état de nature à l'état civil, puis nous analyserons les clauses du contrat rousseauiste pour comprend enfin ce à quoi correspond la société post-contractuelle de Rousseau (post-contractuelle = une fois que le contrat est admis, pas une fois qu'il est expiré).

I / Un problème commun à tous les contractualistes.
 
A) L'état de nature.
Ligne 3 "reste aussi libre qu'auparavant" : que trouve-t-on avant l'acte d'association, avant la mise en application du contrat ? l'état de nature. Cet état de nature est une idée commune aux trois grands contrats sociaux (Hobbes, Locke, Rousseau), l'outil méthodologique de base de contrat social. Il ne représente pas une vérité historique, et Rousseau ne prétend pas dans son contrat social expliquer les origines des sociétés humaines (livre I, chapitre I : "Comment ce changement s'est-il fait ? Je l'ignore"), mais l'état de nature est une hypothèse théorique, une base qui lui permet de développer son raisonnement. Il ne s'agit pas de savoir ce qui a poussé les hommes à s'unir et se soumettre ainsi, mais de chercher à comprendre si cette soumission, contraire à la nature humaine, peut être une soumission légitime. Chez Rousseau, cette nature se caractérise par la liberté propre à chaque être humain, et le droit à la domination n'existe pas. De plus, la liberté étant une qualité instrinsèque à l'humanité, le renoncement à celle-ci n'est pas concevable : ce serait renoncer à son humanité.  Le problème auquel Rousseau tente de trouver une solution est donc de savoir comment passer de cette "liberté naturelle" (ligne 9) (=état de nature) à une "liberté conventionnelle" (ligne 9) (=état civil) tout en conservant sa liberté.
 
B ) Vers l'état civil.
Toute la difficulté du passage de l'état de nature à l'état civil réside dans l'énoncé du problème qui ouvre cet extrait : " trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant". (ligne 1 à 3). Rousseau voit bien la liberté conventionnelle comme supérieure à la liberté naturelle, et ne pense aucunement qu'il soit bon pour l'homme de rester dans cet état de nature. Comme Hobbes, il pense qu'il est nécessaire de rompre avec l'état de nature et que le contrat social est l'unique solution au problème de cette rupture. Mais un point essentiel différencie ici les deux contractualistes : pour Hobbes, l'aliénation se fait au profit d'un homme ou d'un groupe d'homme, alors que chez Rousseau, celle-ci s'exerce au profit de toute la communauté (ce qu'il appelle la "forme d'association" ligne 1), fondée elle-même par le contrat social. 
Rousseau a posé "le problème fondamental dont le contrat social donne la solution" (lignes 4 et 5). Mais alors quelles sont les clauses de ce contrat et que peut-on en dire ?
 
II / Les clauses du contrat rousseauiste.
 
A) Le mystère de leur acceptation
Le chapitre 6 du contrat social (notre extrait), fait apparaitre le processus théorique du pacte social d'une manière claire et intelligible. Mais la nature de l'acceptation des clauses de ce contrat semble être un élément flou et mystérieux. On lit à la ligne 6 que ces clauses n'ont "peut-être jamais été formellement énoncées" mais qu'elles sont "partout les mêmes, partout tacitement admises et reconnues" (lignes 6 et 7). On peut légitimement se demander comment, concrètement, un contrat jamais formellement énoncé peut être admis partout et par tous avec des clauses absolument identiques. On voit que par nature, le contrat de Rousseau implique une sorte d'alchimie collective qui nous en rappelle la nature purement théorique. Si l'acceptation commune des clauses du contrat semble poser un problème pratique, les clauses en elles-mêmes, du moins celle à quoi elles sont réduites est clairement énoncée
 
B) "L'aliénation totale" (ligne 10)
Rousseau écrit aux lignes 10 et 11 de l'extrait : " Ces clauses bien entendues se réduisent toutes à une seule, savoir l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté". C'est ici le coeur du pacte social de Rousseau. Cette aliénation est nécessaire pour passer de l'intérêt personnel des particuliers à l'intérêt général de toute la communauté, afin que les hommes soient dirigés par la "volonté générale" (ligne 19). Cette volonté générale, c'est celle de la communauté dans son ensemble, et c'est ce qui doit gouverner les hommes.  Cette aliénation, ce fait de "se donner tout entier" (ligne 12), est en fait la démarche indispensable pour devenir citoyen et donc penser en fonction du bien commun et non d'une manière égoïste. On a reproché à Rousseau d'appeler volonté générale ce qui est en fait la volonté de la majorité, car l'unanimité est un fait rare dans les sociétés humaines. Mais chez lui, la volonté générale n'est pas la somme des volontés particulières, mais elle est ce qui procède de l'intérêt commun. Rousseau explique que chaque personne est divisée entre sa condition d'homme qui lui fait désirer son bien personnel, et sa condition nouvelle de citoyen qui l'oriente vers le désir du bien commun, et que c'est en consultant l'assemblée du peuple qu'elle va se rendre compte que la vérité se trouve dans le désir du citoyen (le bien commun), et non dans la recherche du bien personnel. Au final, l'homme se dénature pour devenir citoyen, et en se soumettant à la volonté générale il se soumet à lui même, donc reste libre.

III / La société post-contractuelle selon Rousseau
 
A) Une conception nouvelle
lignes 21 et 22 = "cet acte d'association produit un corps moral et collectif composé d'autant de membres que l'assemblée a de voix". Cette conception contractualiste est neuve. Chez Locke (Second traité du gouvernement civil : 1690), le contrat social sert à garantir l'état de nature. Chez Hobbes (Léviathan : 1651), il sert à rompre avec cet état de nature dans un but sécuritaire, et donne le pouvoir à un monarque. Rousseau est chronologiquement le dernier des trois grands philosophes du contrat et le premier à donner le pouvoir souverain à tous les hommes unis par le pacte social. Il élimine le roi du pacte social et fait du peuple son propre souverain. Son pacte social n'est plus défini comme le rapport de dominant à dominé qui existe entre le prince et ses sujets (ce qu'on trouvait avant) mais comme un consensus, une convention égalitaire entre tous les hommes (lignes 14-15 : "il n'y a pas un associé sur lequel on n'acquière le même droit qu'on lui cède sur soi"). C'est en cela que ses idées ont marqué les esprits des révolutionnaires et c'est ce qui fait de son oeuvre une référence principale de la Révolution. On peut voir dans ce chapitre une théorisation  de la démocratie.
 
B) Rousseau, un théoricien de la démocratie
A la fin de notre extrait, Rousseau s'attache à illustrer le corps collectif constitué et les hommes qui le constituent, en les définissant selon différents termes : il commence par dire que ce corps collectif "prenait autre fois le nom de Cité, et prend maintenant celui de République" (lignes 24-25). Il fait ici référence aux grandes cités de la Grèce antique (on pense à Athènes et Sparte) et à leurs régimes démocratiques. Il compare donc le régime politique que son contrat social met en place aux grands régimes démocratiques, par là-même il affirme le caractère démocratique de son pacte social. Ce "corps politique" "est appelé par ses membres Etat quand il est passif, Souverain quand il est actif" (lignes 25-26). L'Etat et le Souverain ne font qu'un, comme pendant la monarchie. La célèbre phrase jamais prononcée par Louis XIV "l'Etat c'est moi" se transforme donc, en application du pacte social, en "l'Etat c'est nous" (mais en tant que citoyen), le gouvernement du peuple (étymologiquement : démos = le peuple / kratos = le corps politique, le gouvernement). Enfin, dans la même démarche que pour le corps collectif, Rousseau définit les associés (lignes 28-29) " s'appellent en particulier citoyens comme participants à l'autorité souveraine, et sujets comme soumis aux lois de l'Etat". Dans cette phrase réside l'équilibre du pacte social de Rousseau : le citoyen passe au statut de sujet lorsqu'il se soumet aux lois : mais ces lois sont le fruit de la volonté générale, donc de celle de tous les citoyens, ainsi le sujet est soumis à lui-même, mais nul ne peut réellement être soumis à lui-même, donc il conserve toute sa liberté.
Conclusion
Comme tous les contractualistes, Rousseau utilise l'outil de l'état de nature pour effectuer son raisonnement et construire son contrat social. Pour lui, la rupture avec cet état de nature est essentielle, mais en passant à l'état civil, l'homme doit conserver sa liberté. Pour cela, il est nécessaire que tous les hommes cèdent tous leurs droits à la collectivité. Il est difficile d'imaginer l'application pratique de ce pacte social, mais celui ci théorise bel et bien un certain système démocratique.

Les atouts de la France coloniale selon Paul Leroy-Beaulieu ( 1882 ).

            Les atouts de la France coloniale selon Paul Leroy-Beaulieu ( 1882 ).

    Introduction :

        Paul Leroy-Beaulieu est né en 1843 et décède en 1916, il est issu d'une grande famille bourgeoise de tradition orléaniste. Universitaire et économiste libéral, il est connu comme l'un des premiers, voire le premier théoricien de la colonisation sous la IIIe République. Ses idées sont largement influencées par les écrits de Renan mais aussi par son beau-père, Michel Chevalier, un des penseurs Saint-Simonien. Cette école de pensée est favorable à l'expansion coloniale. Paul-Leroy-Beaulieu lui succède à la chaire des « Sciences Morales et Politiques » au Collège de France. Il obtient un prix de l'Institut en 1870 pour son mémoire intitulé L'étude du système colonial des peuples modernes. C'est à partir de ce mémoire qu'il entreprit l'écriture de De la colonistation chez les peuples modernes dont la première édition paru en 1874. Rencontrant un franc succès dans les milieux scientifiques et les salons il fut complété et réedité une deuxième fois en 1882. En tout cet ouvrage, modifié à chaque réedition, le fut cinq fois jusqu'en 1908. Leroy-Beaulieu est aussi l'auteur du livre Du partage des richesses et le fondateur de L'économiste français.Le texte, ici présent, est extrait de la préface de l'édition de 1882, il dresse dans cet ouvrage un tableau des divers systèmes coloniaux puis dans un deuxième temps de sa théorie générale sur la colonisation. Lors de sa seconde publication la IIIè République, crée en 1871 suite à la défaite et à la chute du Second Empire, entre dans une nouvelle phase avec l'arrivée des républicains au pouvoir en 1879 et l'élection de Jules Grèvy comme Président de la République. Ces hommes politiques, pour certains, sont plus enclins à une politique coloniale comme Ferry et Gambetta respectivement président du Conseil en 1880-1881 et de fin 81 à début 82. Ainsi cet extrait nous propose une vision de la théorie de Leroy-Beaulieu sur les colonies mais également sur la politique. Il commence par une question sur les fautes du passé dans les lignes 1 et 2; puis des lignes 3 à 10 il fait référence au devoir et à la capacité de la France à coloniser; des lignes 11 à 23 il opère une disctinction entre différents types de colonies; des lignes 24 à 31 il émontre l'intérêt économique de ces colonies; et enfin des lignes 32 à 38 il expose sont point de vue sur la politique extérieure française. Ainsi quels sont les atouts de la France coloniale pour Leroy-beaulieu ? Nous répondrons à cette question avec tout d'abord une vue d'ensemble des bases coloniales à l'époque; puis sur les moyens d'exploiter ces colonies et enfin la mission civilisatrice et la politique extérieure de la France.


    I°) Les bases du Second Empire colonial français.

    1)    Fautes et héritages.

    Les dix premières années de la IIIe République apparaissent comme une parenthèse dans l'Histoire de l'expansion coloniale française. La France est profondément touché par la défaite de Sedan et la chute du Second Empire qui s'en suit. Cependant elle a conservé de sa puissance en restant la deuxième puissance industrielle et maritime. La IIIe République hérite aussi de colonies résultant du premier empire colonial mais aussi des politiques menées sous Napoléon III. A la ligne 1 : « les fautes du XVIIIe siècle » auxquelles fait allusion Paul Leroy-Beaulieu fait référence au Traité de Paris, signé le 10 Février 1763, et qui est longtemps perçu comme marquant la perte du premier empire colonial. Ce traité fait suite à la guerre de Sept ans qui oppose entre autres la France et l'Angleterre ( 1756 ), et entraîne la perte de la Nouvelle France ( Quebec et partie de la Louisianne ) préférant défendre avant tout ses intérêts économiques dans le commerce. Cependant en 1814 à la signature d'un nouveau traité certaines puissances européennes rétrocèdent à la France des territoires coloniales. Ainsi, au début de la IIIe République, la France conserve quelques reliquats de colonies où vivent pas loin de 6 millions d'hommes. Elle possède notamment quelques établissements côtiers dont le plus important se situe au « Sénégal » mentionné à la ligne 29 avec le port de Saint-Louis, mais aussi aux « Indes » ( l.13 ) où elle dispose de comptoirs tel Pondichéry ou Chandernagor. La France contrôle toujours Saint Pierre et Miquelon et des îles ( surnommées îles à sucres ) telles la Martinique, Guadeloupe, Guyanne, les Antilles, la Réunion mais ces îles sont pour la plupart en casi léthargie. Ces colonies n'empêchent pas pour autant que la France soit relégué au dernier rang des puissances coloniales en 1814. C'est également la volonté de Paul Leroy-Beaulieu dans ces deux premières lignes de redonner l'envie de grandeur de la France à travers l'expansion coloniale bien que celle-ci « a été relégué au second plan dans la conscience nationale » ( l.33 ) mais aussi le goût pour l'exploration et l'aventure.

        B) Explorateurs et conquêtes récentes.

    Paul Leroy-Beaulieu fait ici l'éloge de ces explorateurs hardis ( l.8 ) et ces « aventuriers aussi originaux et aussi audacieux qu'il y a un siècle » ( l.9-10 ) il fait même une comparaison avec Robert Cavelier de la Salle à la ligne 8 qui explora au XVIIe siècle les territoires entre la région des Grands Lacs et le Mississippi dont il prit au nom du roi possession de la Louisiane. Mais au XIXe siècle ces explorations débutent d'abord par par la motivation de missionnaires catholiques et également par celles des scientifiques, des sociétés gépgraphiques et des associations savantes, milieux qui se passionnent pour la découverte. Avant d'être en partie aidés par les politiques gouvernementales les initiatives sont essentiellement individuelles renforçant le côté audacieux et hardis de ces hommes. On pourrait faire mention de Francis Garnier ( 1839-1973 ) qui participa à des explorations navales en Cochinchine et en Chine au début des années 1860 et en prit même la direction en 1868 pour la découverte du Haut-Mékong. Ou encore de Pierre savogan de Brazza ( 1852-1905 ) qui devint français en 1874 et explore à partir de 1875 l'Ogoué, un fleuve gabonais pais doit vite faire demi-tour devant le manque de moyens et d'hommes. Il repartit en 1879 avec l'appui du gouvernement et fonda Franceville et la future Brazzaville. Enfin il réussit à mettre ces territoires sous la protection française en 1880. Ces territoires deviennent des colonies mais ce phénomène n'est pas nouveau comme le rend compte Paul Leroy-beaulieu à la ligne 4 : « les dernières années en donnent la preuve » et est déjà présent sous la Monarchie de Juillet et le Second Empire. La colonisation de l'Algérie débute en effet à partir de 1830 et le débarquement sur les côtes jusqu'en 1848 où certains territoires sont annexés à la France et sont formés en tant que département. La colonisation de la Cochinchine ( l.7 ) débute en 1859 et se poursuit sous le Second Empire jusqu'en 62 où l'empereur cède trois provinces à la France puis en 1874 où elles sont placées sous l'entière souveraineté française donnant naissance à la Cochinchine. Mais à partir de la fin des années 1870 le régime redonne de l'ampleur à ces expansions comme au Soudan et en Tunisie, entre autres, mentionnés à la ligne 29. Mais pour l'auteur malgré ces conquêtes il manque à la France « l'esprit de suite dans sa politique coloniale » ( l.32 ). En effet la France s'est d'abord contentée d'assurer uniquement la protection des explorateurs. Les initiatives militaires qui suivent sont pour le moins opportunistes et ne se définissent  pas dans une politique coloniale d'ensemble, comme le préconise Paul Leroy-beaulieu c'est à dire en cherchant à créer de vastes territoires continus à partir des bases littorales déjà existantes.


    II°)

    1)    Colonies d'exploitation et capitaux.

    Pour Paul Leroy-Beaulieu, le moteur de l'expansion colonial réside dans l'investissement de capitaux. A la ligne 26 il constate que la France « les dissémine aux quatres coins de l'univers ». En effet, les banques françaises investissent de préférence dans les pays étrangers, indépendants en raison des prédilections des épargnants pour les emprunts publics. Il souhaite ainsi à la ligne 28 « qu'un tiers ou la moitié » ou « le même quart » des capitaux français soient placés dans les colonies. En 1900, les capitaux français investis dans l'empire colonial se montent environ à 1,5 milliards, soit 3,5% du total des capitaux français hors de métropole. En 1906, ils ne sont passés qu'à 1,7 milliards dans le reste de l'Empire soit un total de 7% du total des capitaux hors de France. Les investissements des années qui suivent  la publication de l'ouvrage se montrent nettement inférieurs aux espérances de Paul Leroy-Beaulieu. Il souhaite ce que Lénine appele l'impérialisme financier c'est à dire que durant la grande dépression de 1873 à 1896, dûe à une hausse des investissements, et donc de la production et de la consommation entraîna une baisse des taux d'investissments et ces investisseurs cherchent ainsi des placements rémunérateurs qu'ils pourraient trouver dans les « colonies d'exploitation » ( l.13 ) que Paul Leroy-Beaulieu considère comme des investissements plus sécurisés. L'Etat français a lui aussi intérêt à investir dans les colonies plutôt que dans des projets en coopération avec d'autres Etats comme la Grande-Bretagne pour le canal de Suez. Avec le développement du libre-échange les colonies fournissent un pré carré plus loyale, des débouchés privilégiés pour les marchés de la métropole et des approvisionnements exclusifs en matière première et en denrées alimentaires. Cependant c'est un pari que fait Paul Leroy-Beaulieu car il ne connait pas les ressources africaines et le commerce colonial ne représente que 5 à 6% des échanges. De plus pur les économistes, le capitalisme colonial apparaît comme peu dynamique et s'apparente à du protectionnisme. Aux lignes 29 et 30 il avoue que ces dires sont hypothétiques « nous finirons bien, j'éspère, par assurer notre prédominance ». Il enchaîne avec les résultats supposés « splendides en 25 ou 30 ans » ( l.31 ). Il cherche ici à convaincre le milieu des affaires peu enclins à la prise de risque couteux sans garantie de monopole et où les terres sont peu défrichées et vierges.

    1)    Colonies de peuplement et émigration.

    Paul Leroy-Beaulieu est le premier théoricien de la colonisation à faire une distinction entre « colonies de peuplement » ( l.14 ) et « colonies d'exploitation » ( l.13 ). La colonie, dans son principe de base est de peuplement, dans le but d'alléger la métropole d'une partie de sa population en l'installant des colonies. Cela se fait notamment lorsque la métropole n'arrive plus à subvenir aux besoins alimentaires, forte partie de sa population ou de lui fournir du travail. L'un des arguments des opposants à la colonisation est que « la France n'a pas d'éxubérance de population » ( l.11 ). En effet, entre 1860 et 1890, il y a une dépression économique et donc un fort taux de chômage mais contrairement à ses voisins européens la France a une population moins nombreuse que ses voisins. Le taux de natalité française est lui aussi largement inférieure. Elle ne peut donc pas se priver de sa populatin jeune généralement plus enclin à partir et à travailler. Les opposants à la colonisation et Paul Leroy-Beaulieu s'accordent sur l'inutilité des colonies de peuplement qui à la fois ne résoudraient pas le problème du chômage et risqueraient de diminuer encore plus le poids démographique de la France en Europe. Elles ne sont donc en aucun cas un régulateur de la vie économique. C'est pourquoi Paul Leroy-Beaulieu propose une émigration  faible de l'ordre de « 15 000 à 20 000 colons par an » ( l.18 ). Les chiffres qu'il propose sont similaires à ceux de l'émigration  de la métropole à l'Algérie, mais qui s'appliqueraient à l'ensemble de l'Afrique. Cela représente une faible part de la population pour seulement « servir de cadres » ( l.18 ) à l'administration coloniale et empêche que « l'immigration des étrangers européens » ( l.19 ) ne dépasse pas l'émigration française. Ces chiffres sont largement surestimés par rapport à l'émigration à venir, car elle est peu enclin à partir dans les colonies et nombres ne restent pas une fois sur place. Contrairement à la phrase de la ligne 19 la population d'immigrés étrangers n'est pas « d'égale importance ». En 1900, 800 000 étrangers européens sont installés dans les colonies françaises contre seulement 500 000 français. Cela n'empêche cependant  pas la France de fonder un « grand empire africain et un moindre asiatique » dont Paul Leroy-Beaulieu espère la création ( l.37-38 ). Entre 1870 et 1900 l'empire colonial français passe de 1 000 000 km²  à 10 900 000 km² et place la France comme l'une des nations coloniales les plus puissantes.

    III°)

    1)    La vocation civilisatrice de la France et sa capacité colonisatrice.
   
    Paul Leroy-Beaulieu insiste à la ligne 3 sur « la vocation civilisatrice de la France ». Il croit fermement  que la France, pays des droits de l'Homme et du Citoyen et république non-esclavagiste ( depuis 1848 ) est la mieux placée pour ammener les populations indigènes, sur le long terme au niveau technique, scientifique, politique et administratif de la France. Car pour lui la plus grande partie du monde est soit aux mains de tribus guerrières soit aux mains d'indigènes inaptes à tirer profit des richesses et des terres. Dans la première édition de l'ouvrage il s'attaque aux traitement de populations indigènes, tant dans le présent que dans le passé, ainsi qu'à l'estimation de leur juste droit et de leur acheminement à la civilisation. Il se déclare partisan de l'assimilation des colonies ( en opposition à l'association ) c'est à dire l'extension aux indigènes de la loi, la langue, les idées ou encore des droits politique et des moeurs de la métropole. Pour Paul Leroy-Beaulieu les colonies sont vouées à s'émanciper jusqu'à une forme d'autonomie voire même d'indépendance. Ainsi ces pays « de langue française et d'esprit français » ( l.22 ), et donc proches sur le plan culturel et idéologique, assurent à la métropole une influence internationale et de bonnes relations économiques avec eux. Cette vision est cependant sur le long terme ( l.21 « au bout d'un siècle » ). Dans le cas où cette émancipation est freinée il prévoît la possibilité d'insurrection des colonies pour accéder à cette indépendance. Ainsi cette assimilation doit être graduelle et éviter tous abus de colons.
    Pour justifier la supériorité de la France Paul Leroy-Beaulieu précise à la ligne 5 que « les plus grandes oeuvres de ce temps, en fait de travaux publics extra-européens, sont français ». Parmi ces travaux y figurent certains travaux européenns comme le canal de Suez inauguré en 1869 ou celui de Panama commencé en 1881-1882. Les autres oeuvres coloniales françaises sont nombreuses et y figurent notamment celui du développement du port d'Alger, grâce aux apports de capitaux étrangers, qui devient l'un des principaux ports méditerranéens en ravitaillement et en dépôt d'hydrocarbures. Mais outre ces « grandes oeuvres » ( l.5 ) les Français ont aussi construit de nombreuses villes ( 300 de 1971 à 1895 ) en Algérie mais aussi ont permis l'avancée dans les travaux hydroliques pour l'agriculture. Ces travaux peuvent aussi s'apparenter au social comme l'oeuvre sanitaire, rencontrant un grand succès avec la mise en place, à la fin du XIXe siècle, de services de santé publique. L'enseignement acquiert aussi une part dans cette mission civilisatrice bien qu'elle rencontre des obstacles en termes financiers et également face à une certaine résistance de la population. Ainsi le nombre d'élèves scolarisés passent de 13 000 en 1870 à 3 000 en 1880 avant d'être supprimés. Ces grandes oeuvres permettent en grande partie le désenclavement de ces régions grâce à la construction de réseaux routiers et ferroviaires. C'est à travers tous ces travaux que l'on voit cette missin civilisatrice et forment la vitrine de la colonisation car elle transforme le paysage et permet le développement des sols et sous-sols. La France a donc d'après Paul leroy-Beaulieu des « facultés colonisatrices » ( l.4 ). Elle fut à une époque récente la deuxième puissance coloniale derrière l'Angleterre et a donc prouvé sa capacité de colonisateur. Ses héritages coloniales peuvent donc servir de base à de nouvelles expansions. La métropole a des ouvertures maritimes notamment autour de la Méditerranée, elle possède une capacité militaire d'une puissance de rang mondiale malgré la défaite de 1871 et dispose de capacités financières, politiques et techniques lui permettant d'assurer des voies de communication avec les colonies ainsi qu'une organisation administrative de celles-ci. Il faut toutefois relativiser cette pensée face à la pratique colonisatrice dans ces territoires. Toutefois cette vocation civilisatrice et ces oeuvres permettent, pour Leroy-Beaulieu, la fusion ( assimilation partielle et progressive ) entre européens et indigènes indispensable à la paix et à la prospérité de cette civilisation.

    1)    La politique extérieure.

    Paul Leroy-Beaulieu préconise à la ligne 34 que la « politique continentale  (…) doit être essentiellement défensive » pour lui la politique de la France en Europe est trop risquée car confronté aux autres grandes puissances mondiales. Militairement il propose de se contenter de défendre le territoire métropolitain et non de se lancer dans les conquêtes européennes. Cependant on peut penser que la politique de conquête, vue par l'auteur, dans les colonies risqueraient de priver la métropole de troupes et ainsi de défense. D'où l'alliance qui intervient en 1891 avec la Russie et sécurise la France sur le continent lui permettant de s'investir dans ses conquêtes extra-européennes et satisafaire les « légitimes instincts d'expansion » ( l.36 ). Ce passage tout comme le précédant  s'adresse en particulier aux nationalistes. En effet, depuis la défaite de Sedan et le Traité de Francfort l'amputant de certains territoires, la France a besoin de compenser sa grandeur perdue afin de retrouver son rang sur la scène internationale et le garder. Car sans cette politique d'expansion cela revient à reculer face aux autres puissances. Les nationalistes, largement majoritaires dans l'opinion publique de l'époque, s'opposent à cette idée de conquête qui feraient oublier l'Alsace et la Lorraine. Cependant ces politiques d'expansion se heurtent également aux puissances européennes. Ces problèmes extérieurs ne font que diminuer l'importance du discours colonial. Celui-ci n'est déjà que très peu présent  en dehors des groupes politiques, économiques ou religieux. Cependant Gambetta puis Ferry tentent de redonner un élan à ces théories en les appliquant mais leurs successeurs De Frycinet et Duclerc n'ont que peu d'influence face à l'opinion plus revancharde que d'envie expansionniste paralysant les questions coloniales.

    Conclusion :

    On peut donc en conclure que la France possède en 1882 un véritable héritage à la fois par l'expérience de ses fautes passées, par les restes de son premier empire colonial mais aussi par ses explorations et conquêtes récentes. C'est aussi à cette époque qu'apparait une envie de politique coloniale. De plus la France peut adapter sa colonisation à s démographie sans que l'émigration ne lui pèse tout en améliorant sa situation économique par le biais d'investissement dans les colonies d'exploitation. C'est un véritable devoir également pour la France de transmettre sa science et son esprit à travers le monde pour le bien des peuples colonisés et pour l'avenir de la France dans le monde d'autant plus qu'elle en a les capacités financières, militaires et administratives. Cet extrait possède un intérêt certain et une portée importante puisqu'il influença les décisions dans les entreprises de conquêtes mais n'eut que peu d'impact d'un point de vue économique et dans l'opinion publique. On peut constater que ces écrits se vérifient encore aujourd'hui avec l'influence que continue de jouer la France dans ses anciennes colonies.

























           
                    Bibliographie :
   

    Dictionnaire :
    ⁃   
    ⁃    BIZERE Jean-Maurice; DROUIN Jean-Claude; KOSZUL Michel; MARX Roland; RUDESQ André-Jean; VAYSSIERE Pierre, Dictionnaire des biographies, le XXe siècle, Armand Colin, Paris, 1994.


    Ouvrages généraux :

    ⁃    MOLLIER Jean-Yves; GEORGE Jocelyne, La plus oingue des Républiques, Fayard, La Flèche, 1994.
    ⁃    MONNET Sylvie, La politique extérieure de la France depuis 1870, Armand Colin, Paris, 2000.
    ⁃    REMOND René, Introduction à l'histoire de notre temps 2 : le XIXe siècle 1815-1914, Seil, Paris, 1994.
    ⁃    TACEL Max, La France et le monde au XXe siècle, Relation Internationale Contemporaine, Masson, 1989.

    Ouvrages spécialisés :

    ⁃    BOUCHE Denise, Histoire de la colonisation française, Fayard, 1981.
    ⁃    COMTE Gilbert, L'aventure coloniale de la France : l'Empire triomphant 1871/1936, Denoël, Paris, 1988.
    ⁃    GIRARDET Raoul, L'idée coloniale en France 1871-1962, La Table Ronde, Paris, 1972.
    ⁃    MARTIN Jean, L'Empire renaissant 1789/1871 l'aventure coloniale de la France, Denoël, Paris, 1987.
    ⁃    MEYER Jean, Histoire de la France coloniale des origines à 1914, Armand Colin, Paris, 1991.

















                    Plan :

   

    I°) Les bases du second empire colonial français.

    1)    Héritage et fautes du passé.
    2)   
    3)    Explorateurs et conquêtes récentes.

   

    II°) Stratégie d'efficience des colonisations : la théorie de Paul Leroy-Beaulieu.
    1)    Colonies d'exploitation et capitaux.
    2)   
    3)    Colonies de peuplement et émigration.

   

    III°) Idéologie de la politique extérieure française selon Paul Leroy-Beaulieu.

    1)    Vocation et capacité colonisatrice de la France.
    2)   
    3)    La politique extérieure.