"Du contrat social ou Principes du droit politique" est une oeuvre majeure de philosophie politique, écrite par Jean Jacques Rousseau et publiée en 1762 pendant le règne de Louis XV. Rousseau, né à Genève en 1712 et mort en 1778, est un célèbre écrivain et penseur. Ses idées et écrits ont influencé de nombreux protagonistes de la Révolution française et ont marqué ses contemporains qui l'ont adulé ou détesté. En 1762, année de publication du contrat social et de l'Emile (une de ses autres grandes oeuvres) Rousseau est même condamné par le Parlement de Paris pour les propos qu'il tient dans ce dernier ouvrage, et doit s'enfuir. Sa vie est une vie de vagabond. Il est l'un des grands philosophes du contrat social moderne aux côtés de Thomas Hobbes et John Locke, ses prédecesseurs. Notre extrait est tiré du chapitre 6 du Contrat social, qui traite du pacte social. Dans un premier temps, il pose le problème auquel le contrat social doit répondre, à savoir celui du passage pour l'homme de l'état de nature à l'état civil en conservant sa liberté originelle. Il explique ensuite les moyens d'y arriver, les clauses de son contrat, et enfin expose le résultat de l'application de ces clauses. En suivant le raisonnement logique de Rousseau, nous essaierons de comprendre ce qui fait l'originalité de son pacte social. Nous allons donc, dans un premier temps, observer comment Rousseau pose le problème commun à tous les contractualistes du passage de l'état de nature à l'état civil, puis nous analyserons les clauses du contrat rousseauiste pour comprend enfin ce à quoi correspond la société post-contractuelle de Rousseau (post-contractuelle = une fois que le contrat est admis, pas une fois qu'il est expiré).
I / Un problème commun à tous les contractualistes.
A) L'état de nature.
Ligne 3 "reste aussi libre qu'auparavant" : que trouve-t-on avant l'acte d'association, avant la mise en application du contrat ? l'état de nature. Cet état de nature est une idée commune aux trois grands contrats sociaux (Hobbes, Locke, Rousseau), l'outil méthodologique de base de contrat social. Il ne représente pas une vérité historique, et Rousseau ne prétend pas dans son contrat social expliquer les origines des sociétés humaines (livre I, chapitre I : "Comment ce changement s'est-il fait ? Je l'ignore"), mais l'état de nature est une hypothèse théorique, une base qui lui permet de développer son raisonnement. Il ne s'agit pas de savoir ce qui a poussé les hommes à s'unir et se soumettre ainsi, mais de chercher à comprendre si cette soumission, contraire à la nature humaine, peut être une soumission légitime. Chez Rousseau, cette nature se caractérise par la liberté propre à chaque être humain, et le droit à la domination n'existe pas. De plus, la liberté étant une qualité instrinsèque à l'humanité, le renoncement à celle-ci n'est pas concevable : ce serait renoncer à son humanité. Le problème auquel Rousseau tente de trouver une solution est donc de savoir comment passer de cette "liberté naturelle" (ligne 9) (=état de nature) à une "liberté conventionnelle" (ligne 9) (=état civil) tout en conservant sa liberté.
B ) Vers l'état civil.
Toute la difficulté du passage de l'état de nature à l'état civil réside dans l'énoncé du problème qui ouvre cet extrait : " trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant". (ligne 1 à 3). Rousseau voit bien la liberté conventionnelle comme supérieure à la liberté naturelle, et ne pense aucunement qu'il soit bon pour l'homme de rester dans cet état de nature. Comme Hobbes, il pense qu'il est nécessaire de rompre avec l'état de nature et que le contrat social est l'unique solution au problème de cette rupture. Mais un point essentiel différencie ici les deux contractualistes : pour Hobbes, l'aliénation se fait au profit d'un homme ou d'un groupe d'homme, alors que chez Rousseau, celle-ci s'exerce au profit de toute la communauté (ce qu'il appelle la "forme d'association" ligne 1), fondée elle-même par le contrat social.
Rousseau a posé "le problème fondamental dont le contrat social donne la solution" (lignes 4 et 5). Mais alors quelles sont les clauses de ce contrat et que peut-on en dire ?
II / Les clauses du contrat rousseauiste.
A) Le mystère de leur acceptation
Le chapitre 6 du contrat social (notre extrait), fait apparaitre le processus théorique du pacte social d'une manière claire et intelligible. Mais la nature de l'acceptation des clauses de ce contrat semble être un élément flou et mystérieux. On lit à la ligne 6 que ces clauses n'ont "peut-être jamais été formellement énoncées" mais qu'elles sont "partout les mêmes, partout tacitement admises et reconnues" (lignes 6 et 7). On peut légitimement se demander comment, concrètement, un contrat jamais formellement énoncé peut être admis partout et par tous avec des clauses absolument identiques. On voit que par nature, le contrat de Rousseau implique une sorte d'alchimie collective qui nous en rappelle la nature purement théorique. Si l'acceptation commune des clauses du contrat semble poser un problème pratique, les clauses en elles-mêmes, du moins celle à quoi elles sont réduites est clairement énoncée
B) "L'aliénation totale" (ligne 10)
Rousseau écrit aux lignes 10 et 11 de l'extrait : " Ces clauses bien entendues se réduisent toutes à une seule, savoir l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté". C'est ici le coeur du pacte social de Rousseau. Cette aliénation est nécessaire pour passer de l'intérêt personnel des particuliers à l'intérêt général de toute la communauté, afin que les hommes soient dirigés par la "volonté générale" (ligne 19). Cette volonté générale, c'est celle de la communauté dans son ensemble, et c'est ce qui doit gouverner les hommes. Cette aliénation, ce fait de "se donner tout entier" (ligne 12), est en fait la démarche indispensable pour devenir citoyen et donc penser en fonction du bien commun et non d'une manière égoïste. On a reproché à Rousseau d'appeler volonté générale ce qui est en fait la volonté de la majorité, car l'unanimité est un fait rare dans les sociétés humaines. Mais chez lui, la volonté générale n'est pas la somme des volontés particulières, mais elle est ce qui procède de l'intérêt commun. Rousseau explique que chaque personne est divisée entre sa condition d'homme qui lui fait désirer son bien personnel, et sa condition nouvelle de citoyen qui l'oriente vers le désir du bien commun, et que c'est en consultant l'assemblée du peuple qu'elle va se rendre compte que la vérité se trouve dans le désir du citoyen (le bien commun), et non dans la recherche du bien personnel. Au final, l'homme se dénature pour devenir citoyen, et en se soumettant à la volonté générale il se soumet à lui même, donc reste libre.
III / La société post-contractuelle selon Rousseau
A) Une conception nouvelle
lignes 21 et 22 = "cet acte d'association produit un corps moral et collectif composé d'autant de membres que l'assemblée a de voix". Cette conception contractualiste est neuve. Chez Locke (Second traité du gouvernement civil : 1690), le contrat social sert à garantir l'état de nature. Chez Hobbes (Léviathan : 1651), il sert à rompre avec cet état de nature dans un but sécuritaire, et donne le pouvoir à un monarque. Rousseau est chronologiquement le dernier des trois grands philosophes du contrat et le premier à donner le pouvoir souverain à tous les hommes unis par le pacte social. Il élimine le roi du pacte social et fait du peuple son propre souverain. Son pacte social n'est plus défini comme le rapport de dominant à dominé qui existe entre le prince et ses sujets (ce qu'on trouvait avant) mais comme un consensus, une convention égalitaire entre tous les hommes (lignes 14-15 : "il n'y a pas un associé sur lequel on n'acquière le même droit qu'on lui cède sur soi"). C'est en cela que ses idées ont marqué les esprits des révolutionnaires et c'est ce qui fait de son oeuvre une référence principale de la Révolution. On peut voir dans ce chapitre une théorisation de la démocratie.
B) Rousseau, un théoricien de la démocratie
A la fin de notre extrait, Rousseau s'attache à illustrer le corps collectif constitué et les hommes qui le constituent, en les définissant selon différents termes : il commence par dire que ce corps collectif "prenait autre fois le nom de Cité, et prend maintenant celui de République" (lignes 24-25). Il fait ici référence aux grandes cités de la Grèce antique (on pense à Athènes et Sparte) et à leurs régimes démocratiques. Il compare donc le régime politique que son contrat social met en place aux grands régimes démocratiques, par là-même il affirme le caractère démocratique de son pacte social. Ce "corps politique" "est appelé par ses membres Etat quand il est passif, Souverain quand il est actif" (lignes 25-26). L'Etat et le Souverain ne font qu'un, comme pendant la monarchie. La célèbre phrase jamais prononcée par Louis XIV "l'Etat c'est moi" se transforme donc, en application du pacte social, en "l'Etat c'est nous" (mais en tant que citoyen), le gouvernement du peuple (étymologiquement : démos = le peuple / kratos = le corps politique, le gouvernement). Enfin, dans la même démarche que pour le corps collectif, Rousseau définit les associés (lignes 28-29) " s'appellent en particulier citoyens comme participants à l'autorité souveraine, et sujets comme soumis aux lois de l'Etat". Dans cette phrase réside l'équilibre du pacte social de Rousseau : le citoyen passe au statut de sujet lorsqu'il se soumet aux lois : mais ces lois sont le fruit de la volonté générale, donc de celle de tous les citoyens, ainsi le sujet est soumis à lui-même, mais nul ne peut réellement être soumis à lui-même, donc il conserve toute sa liberté.
Conclusion
Comme tous les contractualistes, Rousseau utilise l'outil de l'état de nature pour effectuer son raisonnement et construire son contrat social. Pour lui, la rupture avec cet état de nature est essentielle, mais en passant à l'état civil, l'homme doit conserver sa liberté. Pour cela, il est nécessaire que tous les hommes cèdent tous leurs droits à la collectivité. Il est difficile d'imaginer l'application pratique de ce pacte social, mais celui ci théorise bel et bien un certain système démocratique.
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