Le mot « centre » apparaît à la fin du XIII° siècle. Le terme « centriste », lui, ne fait son entrée officielle en politique qu’en 1922. Quant à celui de « centrisme », il est utilisé pour la première fois en 1936.
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Selon Olivier Nay, le terme de « centrisme » ne renvoie pas à un courant politique ou doctrinal établi, mais désigne les formations politiques et les groupes parlementaires, qui dans les systèmes multipartites occupent le centre de l’échiquier politique. De la même manière, pour Maurice Duverger, le centre, dans la France républicaine « n’est que le lieu géométrique où se rassemblent les modérés des tendances opposées », donc de droite et de gauche. Les « centristes » ne s’identifient ni au socialisme, ni au conservatisme, et se caractérisent donc par la recherche d’une voie médiane, on remarque surtout un fort rejet des extrêmes.
Par définition, donc, le centre semble hétérogène, et multiple, il conviendrait donc plutôt d’employer le pluriel et de parler « des Centres ».
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Sous la IV République, malgré les diverses tendances qu’on remarque au sein du centre, ce dernier semblait tout puissant : faisant et défaisant les majorités. En effet, le système de scrutin proportionnel de ce régime favorisait la multiplication des partis, la dispersion des voix. Ainsi, les différents centres prenaient un rôle de « parti charnière », appartenant aux coalitions parlementaires et gouvernementales, ils étaient alors indispensables à la constitution d‘une majorité. Alors, deux principaux partis illustraient le centre : le MRP et le Parti Radical, c’est-à-dire une aile droite et une aile gauche.
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En 1958, les centres se divisaient toujours entre ces deux partis.
En 1965 le MRP s’élargit en une coalition centriste indépendant, le Centre Démocrate, alors qu’en que pour les législative 1967, le Parti Radical participe à une coalition de gauche. En 1969, le CD se divise, et une partie rallie la majorité pompidolienne.
En 1971, les centristes fondent le Mouvement réformateur, réunissant de nombreuses formations centristes, mais ce dernier intègre en 1974 la majorité giscardienne. Alors que les centres qui n’y avaient pas pris part soutiennent alors J. Chaban-Delmas, ou présentent leur propre candidat. On constate donc une intégration d’une partie des centriste à la droite qui est consommée en 1978, avec la création de l’Union pour la Démocratie Française (UDF) qui réunie la droite non gaulliste. Dans le même temps, une autre partie des centristes a intégré la gauche, des radicaux signent la programme commun du PC et du PS en 1972, et d’anciens membres du MRP rejoignent le PS en 1974. De plus, l’ »ouverture »du gouvernement Rocard (1988), n’a attiré que des individualités.
Dans l’histoire de la V République, on remarque donc que ces Centres, multiples ont à plusieurs reprise tenté de se regrouper, mais ce sont au final toujours divisés, attirés chacun par un pôle.
è En 2007, fort de son score à l’élection présidentiel (18,57%), F. Bayrou, a tenté de créer un Centre indépendant, le MoDem (fin 2007) ; mais la majorité des élus de l’ex-UDF ont conservé un positionnement centre-droit en créant le Nouveau Centre (Hervé Morin) (2008). Ce ne sont pas les seuls « centres », d’autres personnalités s’en revendiquent : Jean Arthuis (préside l'Alliance centriste), J.M Bocquel (La Gauche Moderne), entre autres. Il existe donc aujourd’hui plusieurs centres en France, qui ne sont pas réunis au sein d’une même structure, notamment depuis l’éclatement de l’UDF.
è Face à ce constat, on peut se demander à quoi est du cet « essaimage » des centres? Pour étudier cette question, nous verrons tout d’abord les faiblesses « intrinsèques » des centres, puis les facteurs extérieurs aux centres eux même, et qui les fragilisent, enfin, nous nous intéresserons à l’importance de l’électorat complexe du centre comme facteur explicatif.
I. Des faiblesses intrinsèques.
A. Hétérogénéité des traditions.
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On l’a donc vu, les centrismes se caractérisent par un double refus : « ni de gauche, ni de droite », ni individualiste, ni collectiviste ; désireux d’échapper au clivage droite/gauche. De cette façon, en 1980, F. Bayrou déclare : »nous résistons à la gauche au nom de la personne humaine, nous résistons à la droite au nom de la solidarité ».
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Cependant, une doctrine ne peut se fonder sur un refus. Ainsi, pour Pierre Méhaignerie, en 1984, « il faut que le centrisme ne se définisse pas comme l’expression d’un double refus […] mais qu’il s’incarne dans une vision positive de l’avenir de notre société. D’autre part, il nous faut sur le champ de ce qu’est aujourd’hui le terrain idéologique, aider à l’émergence à l’affirmation et à l’épanouissement de valeurs nouvelles ».
Mais c’est bien là qu’achoppent les centrismes, ces derniers issus de différentes traditions ne défendent pas toujours, selon leur origine, les mêmes « valeurs nouvelles ». En effet, les centrismes se réclament de cultures politiques différentes, il s’agit pour l’essentiel des cultures politiques radicales et démocrates-chrétiennes. La première, est apparue comme une tradition de gauche, se réclamant de la défense du parlementarisme, d’une doctrine sociale originale (promotion par le travail, épargne, école). Or, la gauche à changé avec l’apparition d’une gauche socialiste, faisant alors passer la frontière droite gauche au milieu du courant radical (è des radicaux dans l’UDF/ mouvement des radicaux de gauche).
La démocratie chrétienne, née de la volonté de réforme qui marque le christianisme social, notamment en matière d’expression parlementaire. Le MRP représentait ce centre, la participation de cette formation à des coalitions de droite, montrent sa « droitisation », on se retrouve donc face à deux courants : un centre-droit et un centre-gauche. Ainsi, malgré l’existences de vues communes, leur rapprochement est confronté à des obstacles comme celui qui oppose l’inspiration chrétienne des uns à l’engagement laïque des autres.
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Comme le montrent les débats sur l’école : (loi Savary sous Mitterrand) par exemple, le décret n°2009-427, qui a pour objet, «de reconnaître la valeur des grades et des diplômes canoniques (théologie, philosophie, droit canonique) ou profanes délivrés par les établissements d'enseignement supérieur catholiques reconnus par le Saint-Siège». Par cet accord l'Etat français s'engage à reconnaître sans validation par le ministère de l’éducation nationale les diplômes délivrés par les établissements d’enseignement supérieur habilités par le Saint-Siège. Provoque la réaction de J.M Baylet qui rappelle dans une tribune publié dans le Monde le 21 mai 2009, que « dans une république conséquente, la loi doit respecter la foi, mais la foi ne doit pas dicter la loi. » ; mais ce décret, n’occasionne pas la démission des ministres « d’ouverture » au centre (Morin, Borloo).
(discours de Latran 20/12/2007 : « l’instituteur ne pourra jamais remplacé le curé ou le pasteur » = François Bayrou, président du MoDem, avait dénoncé un discours favorisant le retour de la religion "opium du peuple" mais ne fait pas démissionner H. Morin.).
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On remarque donc plusieurs tendances dans ces centres, JF Sirenelli parle « d’agrégat de cultures politiques » : un courant radical (comme le parti radical de gauche) ; des racines démocrates chrétiennes ; et un courant plus libéral, aujourd’hui incarné par des partis comme le Nouveau Centre ( ceux qui avaient soutenu VGE, et rallié l’UDF en 1978).
B. Des faiblesses héritées : la difficile autonomie.
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A cet handicap d’ordre idéologique, s’ajoute le problème de l’autonomie du centre. En effet, le centre a bien un électorat, environ 8% des français se reconnaissent au centre (septembre 2010) et ne veulent se situer ni dans le bloc de droite, ni dans celui de gauche. Ainsi, ils sont déterminants dans tout scrutin ; cependant, cela ne suffit pas pour un parti qui a vocation gouvernementale (encore faudrait-il qu’un parti réussisse à capter cet électorat aussi divisé que ces représentants). Les Centres sont donc contraints, le plus souvent, d’adopter des stratégies complexes : essayer d’être autonome ; ou se situer directement dans un camp. On peut parler de difficile autonomie, puisque F. Bayrou, en dépit de score à la présidentielle de 2007, (18.6%) ; ne comptabilise pas assez de députés à la législative de la même année pour former un groupe parlementaire, puisqu’il ne comptabilise que 4 députés MoDem.
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De plus, les centres semblent, historiquement, arrimés à la droite, en effet, en mai 2007, une large majorité des députés de l'UDF (23 sur 29 en prenant en compte les apparentés) n'ont pas suivi François Bayrou dans son intention de création du Mouvement démocrate (MoDem), mais ont au contraire défendu une alliance des centristes dans la majorité présidentielle, qui maintiendrait l'UDF au centre-droit. Cette position a été notamment défendue par des personnalités comme Hervé Morin, qui fondèrent le Nouveau Centre en mai 2008. Une autre partie des cadres et militants ont créé l'Alliance centriste ou encore Avenir démocrate, tandis que d'autres ont rejoint le Forum des républicains sociaux, parti associé à l'UMP, ou sont devenus « centristes sans étiquette ».
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On peut aussi remarquer qu’au centre-gauche, la position autonome est aussi difficile à tenir. Par exemple : La candidate PRG à l'élection présidentielle de 2002, Christiane Taubira ne récolte que 2,32 % des voix. De plus, a la suite des élections législatives de 2007, l'ensemble des députés radicaux de gauche siègent comme apparentés au groupe socialiste, radical et citoyen au sein duquel ils constituent un sous-groupe avec des députés divers gauche.
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on voit donc que les centres aujourd’hui, se divisent selon le clivage traditionnel droite- gauche : alors que leur vocation est d’être topographiquement au centre de l‘échiquier politique, ces derniers se retrouvent en marge des coalitions auxquelles ils participent, l’un formant « la gauche de la droite » , et l’autre constituant « la droite de la gauche ». Cependant, des courant des centres refusent de perdre leur individualité, et de disparaitre « entre les mâchoires d’un crocodile » (P. Abelin).
II. Les facteurs extérieurs.
A. Les mécanismes institutionnels implacables.
Mais, les failles internes qui affaiblissent les centres ne sont pas les seuls facteurs qui peuvent être avancés quant à l’explication de son éparpillement. En effet, les mécanismes de la V République ne leur laissent pas de place en tant que force autonome. En 1958, le choix des constituants s’est porté sur le scrutin majoritaire à 2 tours, notamment pour les élections présidentielles et régionales, en raison de son effet stabilisateur, établissant des majorités claires. Ce mode de scrutin permet au multipartisme de subsister au premier tour, cependant, il favorise la bipolarisation au second tour, sous l’effet des alliances et des « marchandages ». En revanche, ceux qui ne souscrivent pas d’alliances sont souvent privés de représentation. Ainsi, on a pu qualifier ce mode de scrutin de « machine à broyer le centre ». Il permet d’assurer une surreprésentation des partis qui peuvent rassembler entre 35 et 45% des suffrages, ce qui favorise le fait majoritaire. Au contraire du scrutin proportionnel, qui en reflétant de plus prés l’électorat rend les centres indispensables à la formation d’une majorité gouvernable. Ce mode de scrutin explique donc pour une part l’éparpillement des centres, puisqu’ils forcent à un choix, dans la logique dualiste induite par les institutions de la V République.
De plus, la place prépondérante donnée au Président de la République, et notamment la sur-légitimité dont il est investit par le Suffrage universel direct lèse les centres. En effet, la Président, une fois élu, doit par son rôle d’arbitre incarner le consensus national. Il est au moins en théorie celui qui dépasse les clivages partisans. Dans les différentes campagnes, les présidentiables, ou personnalités politiques souhaitant l’être ont donc souvent cherché à « chasser » sur les terres du centre.
B. Le recentrage de la vie politique française.
De plus, on constate dans la vie politique française un certain « recentrage » des débats. Même si on assiste à une « re-bipolarisation » depuis quelques années (L’UMP et le PS contrôlent 92% des sièges à l’Assemblée nationale et constituent un véritable duopole partisan qui domine notre système politique), les débats ont changé.
Tout d’abord, certains critères de distinction entre la droite et la gauche sont devenus avec le temps caducs, comme la question de la nature du régime, par exemple. Mais d’autres sujets ont évolués dans le sens d’un consensus entre ces 2 blocs, comme la question de la construction européenne. Or, ce thème constituait une pièce maîtresse de la « doctrine » du centre. Ainsi, par l’évolution du débat politique, les centres perdent l’exclusivité de certains de leurs rares points d’accord, Ils perdent donc des idées sur lesquelles s’appuyer pour une éventuelle union.
De plus, dans le débat politique on assiste à un certain brouillage entre la gauche et la droite dans le discours. De cette façon, dans la campagne de 2007, Nicolas Sarkozy mène le jeu face à Ségolène Royal en transgressant les frontières de la droite et de la gauche et les lignes de partage idéologiques, en récupérant des thématiques de gauche (travail, pouvoir d’achat, mérite républicain). On assiste donc à une désidéologisation de la vie politique, (accentuée d’ailleurs par le contexte, et les différentes cohabitations), qui nuit à un rassemblement des centres, et favorise donc leur éparpillement. En effet, il paraît difficile de se proclamer « ni… ni » quand le clivage entre la droite et la gauche devient poreux. Alors, le centrisme trouve difficilement un espace politique autonome, et les petites formations qui s’en réclament se trouvent écartelées entre deux pôles qui se rapprochent.
III. Un électorat complexe
A. Un électorat composite.
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L’électorat centriste est difficile à définir, tant il est lui-même éparpillé. On a pu dire, génériquement que le profil de l’électeur centriste était plutôt proche de celui de l’électeur de droite. (En effet dans les années 60-70, on remarque que les travailleurs indépendants se tournaient pour une grande part vers le centrisme (1965 = 38% électorat Lecanuet) ; les agriculteurs représentaient le gros des bataillons jusqu’en 1973, suivant l’implantation de la pratique catholique ; les femmes plutôt âgées.).
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Mais aujourd’hui l’électorat à changé, il y a une mutation du comportement des électeurs (part 2), ainsi, le profil, la sociologie des électeurs du centre a changé. Pour le montrer, nous allons prendre comme exemple l’électorat de F. Bayrou en 2007, qui en comptabilisant 6.75 millions de voix, dépassait de beaucoup son score de 2002.
Pendant la campagne présidentielle, la géographie du vote est d’abord celle de l’implantation traditionnelle du centre droit (Bretagne, Ouest intérieur, Alsace, diagonale Bayonne/Chambéry) ; la carte correspond alors à celle de R. Barre en 1988. Mais, si 75% des sympathisants UDF ont voté pour lui, ces derniers ne représentent que 14% de ses électeurs. La composition de son électorat a perdu la plupart des caractéristiques classiques de la sociologie de l’électorat de droite (pratique religieuse). En revanche, ses nouvelles caractéristiques le rapproche plus de la gauche (sur représentation des jeunes, couches intermédiaires, sans religion). (Cependant, il ne semble pas avoir réussi de percée parmi les fonctionnaires (20% d
’entre eux votent Bayrou), même si les professeurs (31%),les instituteurs (28%) et les professionnels de la santé (32%) lui ont apporté un soutien significativement supérieur à celui du reste de la population.) La proximité entre électorat socialiste et centriste s’explique toutefois largement par leur similitude sociologique. On peut ainsi distinguer trois sous groupes au profil « typé » au sein de l’électorat de Bayrou : ceux qui ne se distinguent presque pas de ceux de S. Royal (« Bayrou de gauche ») ; des libéraux de droite (1/3 de cet électorat) ; et un groupe plutôt conservateur (¼ de l’électorat).
La sociologie de ces électorats confirme largement ces interprétations (cf.tableau 4). Les jeunes et les professions intermédiaires se retrouvent prioritairement parmi les « Bayrou de gauche » quand les personnes âgées et les sans diplôme forment l’armature des « conservateurs ». De même, les libéraux regroupent bien à la fois les plus éduqués des électeurs Bayrou de même que les catholiques pratiquants. On voit donc que Bayrou doit son score à un électorat composite, et difficile à concilier, ce qui peut expliquer l’éparpillement des centres aujourd’hui, récupérant chacun une part des aspirations de cet électorat. Mais on voit que ce score ne s’est pas confirmé dans les élections suivantes, la réponse peut donc être cherché dans les comportements politiques des électeurs.
B. Un électorat volatil.
Aujourd’hui, il semble qu’un changement du comportement politique des électeurs se soit produit. Face à la désidéologisation, émerge un profil d’électeur plus consumériste, ou « zappeur », tel que l’ont défini P. Habert et A. Lancelot. Cet électeur est donc utilitariste, et se positionne alors en fonction de l’intérêt qu’il peut tirer du vote pour tel ou tel candidat. On remarque que cet électeur est souvent plutôt jeune, mobile, et diplômé, ce qui le rapproche de l’électeur de Bayrou au 1er tour de 2007. Ainsi, le fait que sont score semble avoir été davantage un sursaut qu’un résultat pérenne, peut s’expliquer par les comportements politiques des électeurs. Puisque l’électorat centriste est composite, et si on prend en compte la volatilité de cet électorat, on peut penser que c’est un facteur de l’éparpillement des centres, chaque tendance cherchant à s’attirer les sympathies d’une part de l’électorat.De plus, on remarque qu’à coté des « centres de vocation » dont on a parlé durant l’exposé, il existe un autre centre, dit « d’indifférence ». Ce centre regroupe des électeurs marqués par un désintérêt de la politique, votant au centre pour l’idée de compromis, loin des idéologies d’inspirations radicales ou démocrates-chrétiennes. Par ce désintérêt de la politique, cet électorat est d’autant plus volatil, et influençable, s’attachant davantage aux personnalités.
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