TD : Explication du vote et socialisation politique
L'électeur est-il déterminé sociologiquement ?
C'est dans les années 1970 que l'étude de l'influence de la dimension sociologie sur les comportements politiques s'est beaucoup développée. On a, à ce moment, beaucoup insisté sur les thèses justifiant un déterminisme des choix de vote et orientations électorales. Selon ces thèses, le citoyen ne choisit pas réellement son vote mais agit en fonction de son appartenance sociale ou d'une structuration de la personnalité qui débute dès la plus jeune enfance. Cette question a été fortement influencée par les idées marxistes, selon lesquelles l'individu est, selon s'il appartient à la bourgeoisie ou au prolétariat, défenseur du capitalisme ou de tendance révolutionnaire.
Ces théories vont bien sûr être par la suite nuancées, notamment avec l’apparition de la notion de processus de socialisation politique qui implique que les individus ne naissaient pas avec leurs idées politiques mais qu'elles sont progressivement acquises et intériorisées, et ce tout au long de son existence. C'est en fait un processus qui n'est jamais totalement achevé.
Ainsi, deux grandes familles de pensée vont se faire face. La première va surtout insister sur la stabilité des choix électoraux selon des caractéristiques de groupe et de milieu, la seconde va plutôt développer le caractère changeant des choix politiques en fonction de l'évolution de l'individu.
On peut donc se demander si l'électeur est réellement et uniquement influencé, au moment du vote, par une conscience de classe ou si d'autres paramètres entre en jeu dans la détermination de son opinion politique.
I/ Une certaine prédestination
A. L'influence de l'éducation et du milieu
Les études américaines ont été les premières à s'intéresser au rôle de la famille dans la formation des idées politiques. Elles ont permis de mettre en relief un phénomène de transmission des choix de vote entre les générations d'une même famille. L'éducation de l'enfant est en fait un apprentissage de la vie en société et tout ce que l'enfant vit dans la famille contribue à l’acquisition de son système de valeurs qu'il va progressivement affermir en prenant son autonomie par rapport à ses parents et sa famille. Dans les années 1962, des chercheurs de l'université de Michigan (Angus Campbell, Philipp Converse et Warren Miller) ont posé la théorie de ce qu'ils ont appelé « l'identification partisane », c'est-à-dire la transmission aux enfants par les parents d'un attachement particulier à un parti. Cette notion est, comme l'a démontré Annick Percheron, à nuancer en France où les parents ne transmettent pas une identité partisane, les partis étant plus faibles, plus nombreux et plus mouvants que dans un pays comme les USA, mais plutôt une orientation politique, des valeurs de droite ou de gauche. Il ne s'agit donc pas ici de la simple transmission d'une étiquette politique mais de l'acquisition d'un système de valeurs politiques.
Cependant, la transmission de ces valeurs n'est pas du tout mécanique. On peut penser que les jeunes trient dans les héritages de leurs parents, se révélant fidèles à certains aspects des idées parentales mais décalés pour d'autres.
L'école joue elle aussi un rôle qui, s'il est certes moins important que celui de la famille, n'est pas à négliger. On associe traditionnellement l'enseignement public à la gauche et celui privé à la droite, et ce malgré la laïcité prônée dans l'enseignement. Ainsi, on sait par exemple qu'un enfant dont le père est à gauche mais qui fréquente un établissement privé a beaucoup plus de chance d'être de droite que s'il fréquente l'école publique.
La participation à la vie politique est également influencée par le niveau d'étude, les jeunes les plus instruits étant en moyenne les jeunes qui votent le plus. Ainsi, en 1992, 56% des 18-39 ans diplômés participaient activement à la vie politique, contre 39% de la même tranche d'âge non ou faiblement diplômés.
Transition : On se rend en fait compte que, lorsque l'on cherche à déterminer ce qui pousse un individu à voter pour tels ou tel personnes ou partis au cours d'une campagne, le choix est en fait formé bien avant celle-ci. Cette tendance s'explique par l'influence du milieu social qui génère une certaine conformité de chacun à son milieu. Divers variables sont en particulièrement déterminantes
B. Les grandes tendances «lourdes»
A partir de l'analyse des résultats électoraux et des catégories sociales de votant, on peut dégager des variables « lourdes », explicatives des comportements électoraux. Le vote exprime ici un rapport social au monde. Ainsi, Paul Lazerfeld, rédacteur des premières études de sociologie électorale affirme que « Une personne pense politiquement comme elle est socialement ».
On va donc ici s'attacher à décrire de grandes variables, des tendances traditionnelles mais qui, il faut bien le souligner, tendent à s'atténuer et, pour certaines même à disparaître. De plus, elles ne sont pas indépendantes et influent les unes sur les autres.
• La classe sociale
La catégorie socio-professionnelle et le niveau de revenu jouent tous deux sur les préférences électorales. L'exemple le plus emblématique de cette tendance est le lien qui existe entre gauche et milieux ouvrier. En effet, historiquement, les partis de gauche se sont formés autour des revendications de la classe ouvrière qui vote donc traditionnellement en leur faveur. Ainsi, entre 1946 et 1956, les formations de gauche recueillaient en France environs les 2/3 des votes de ce milieu. Mais cette tendance a depuis fortement décliné pour s'effondrer dans un basculement vers l’abstentionnisme et surtout vers l'extrême-droite, ce qui s'est en particulier révélé aux élections de 1995 et 2002.
• La religion
L'idée d'un lien entre identité catholique et expression politique est une idée commune depuis très longtemps. Les individus se définissant comme chrétiens adhèrent dans l'ensemble à un système de valeur conservateur exaltant la famille, la personne, le patrimoine et la tradition, système de valeur donc proche de celui de la droite.
A l'inverse, la population musulmane a elle plutôt tendance à voter à gauche. Ainsi, les électeurs musulmans ont par exemple voté massivement à 64% pour Ségolène Royal au premier tour de la présidentielle de 2007.
• La situation géographique
La France forme en fait un espace politique différencié et organisé. Certaines de ces différences territoriales sont marquées de façon notable et durable et structurent les comportements électoraux locaux et régionaux. L'histoire, en particulier l'affrontement entre la France laïque et la France religieuse depuis la Révolution, a durablement clivée l'espace français. André Siegfried fut l'un des premiers à exposer ce type de thèse en démontrant que l'Ouest était un bastion de longue date de la droite alors que le Midi, traditionnellement républicain et anticlérical, penchait plus vers la gauche.
• Le sexe
Pendant un long moment, les femmes, ayant accédé plus tard à la citoyenneté, ont été moins impliquées dans la vie politique que les hommes. Mais cette tendance est aujourd'hui inversée. La différenciation entre le vote des femmes et celui des hommes a tendance à s'estomper du fait l'évolution de leur situation économique et sociale à travers le développement du travail salarié féminin. Les femmes ont cependant moins tendance à voter pour les extrêmes.
• L'âge
On peut noter que, par exemple, une majorité de retraités votent à droite. Ainsi, en 2007, au second tour de la présidentielle, 65% de leurs suffrages sont allés à Nicolas Sarkozy.
La question de l'âge joue également sur le taux de participation aux élections. On constate en effet, chez les jeunes, une tendance à l'abstention assez marquée, une grande partie d'entre eux n'étant même pas inscrits sur les listes électorales (23% des 20-21 ans en 1990). La participation à la vie politique semble en fait aller de pairs avec l'acquisition d'un statut social « d'adulte » définitif. Ainsi, bien que les jeunes soient plus enclins à voter pour la gauche, ils contribueront à sa défaite en 2002 par leur abstentionnisme.
Transition : La mise en évidence de ces grandes variables sociologiques ne doit cependant pas être assimilée à un déterminisme social. Depuis les années 70, de nombreuses études, en France comme ailleurs montrent que cette thèse s'est beaucoup affaiblie. La volatilité de plus en plus importante des électeurs depuis les années 1980 a poussé certains analystes à définir les caractéristiques d'un « nouvel électeur » qui, s'il a certes une orientation politique qui hérite beaucoup de ses appartenances, raisonne par lui-même et subit d'autres influences que celles de son milieu.
II/ La nécessaire prise en compte d'autres facteurs
A. L'électeur rationnel : la recherche de l'intérêt
Les théories de l'électeur rationnel sont très variées. Elles soulignent tout d'abord le rôle que joue l'aspect conjoncturel de chaque élection. Chaque scrutin est différent, a ses spécificités. Une période de crise peut provoquer un bouleversement dans l’équilibre électoral. L'adhésion électorale ne se fait donc pas uniquement selon des appartenances sociales ou partisanes mais en fonction de problèmes ayant une certaine importance dans le débat politique à un moment donné.
De plus, ces théories souligne bien que les déterminants sociaux qui peuvent exister n'excluent pas pour autant la rationalité de l'électeur. Le choix de vote se fait en fait selon une logique qui consiste à rechercher le parti ou le candidat qui défendra au mieux ses intérêts dans les domaines qui le touchent plus particulièrement, surtout dans le domaine économique (chômage, inflation, revenu …) Les jugements sur l'état de l'économie, particulièrement du chômage, constituent un facteur important des fréquentes alternance au pouvoir que connaissent les grandes démocraties occidentales. Ainsi, plusieurs études ont démontré que le parti présidentiel se trouvait plus en difficulté en cas de baisse des revenus de la population.
Enfin, les théories de l'électeur rationnel affirment que la construction d'une opinion politique est tout à fait personnelle et particulière à chaque individu. En effet, chacun réagit différemment face à l'héritage qu'il reçoit de son milieu. Il l'assimile ou le rejette à des degrés divers selon sa construction, son parcours personnel.
Il est vrai cependant que, pour que ce type d'arguments soient avancés, il faut se placer dans l'hypothèse où l'électeur a une compétence politique suffisante pour identifier les enjeux du moment et les positions des différents partis et candidats sur ces sujets. La préférence qu'il va se forger dépend plus ou moins de l’ensemble du système de valeurs des individus. Elle n'est donc pas une variable indépendante.
Transition : Ces arguments rencontrent cependant un obstacle majeur. Si l'électeur agit de manière rationnelle en fonction de ses intérêts (intérêts qui découlent de façon plus ou moins évidente de son appartenance sociale), son choix de vote ne peux se faire que dans la limite de l'offre électorale du moment.
B. Les contraintes de l'offre politique
Les comportements électoraux peuvent être différents suivant la nature des élections. On peut distinguer deux grands types d’élections : les élections nationales et les élections locales. Pour les premières, la mobilisation est souvent forte et le choix des électeurs est un choix politique pour lequel les déterminants sociaux jouent un rôle important. Mais l’équation personnelle des candidats peut également jouer, comme ce fut sans doute le cas pour la présidentielle de 2007.
À l’inverse, pour les élections municipales, les choix sont plutôt déterminés par la personnalité et les qualités supposées des candidats. Dans ce type d’élections, les réseaux tissés par les candidats sont aussi importants que leur couleur politique.
De plus, de part l'orientation des débats dans un sens ou dans un autre, l'électeur n'est que partiellement informé et a donc du mal à percevoir la meilleure façon de faire valoir ces intérêts. Les candidats ou les partis s'expriment bien souvent de façon abstraite sur leur projet et leurs idées et promesses se ressemblent bien souvent fortement. Surtout, ils ne précisent pas quels sera la nature et l'étendu des efforts qui seront demandé à chacun pour mettre en œuvre leurs projets.
C. L'influence croissante des médias et des sondages
Les médias se sont beaucoup développés depuis quelques dizaines d'années. La télévision est présente dans 95% des ménages, et les individus la regardent en moyenne plus de 3h30 par jour. Parallèlement, le réseau internet devient également une source d'information très importante. La découverte de la politique passe donc beaucoup par les médias.
Le pouvoir des médias a été beaucoup discuté. Certains courants sociologiques ont avancé l'idée qu'ils joueraient un rôle important dans la structuration des idées, notamment en diffusant des images et des simplifications qui altéreraient la capacité critique de l'électeur. Il est en effet indéniable que la télévision contribue aujourd'hui à la formation des idées politiques. Les grands journaux télévisés sont environs regardés par un français sur deux tous les jours, ce qui leur vaut le titre de « grande messe de l'information ». En sélectionnant leurs sujets, les médias conduisent les individus à plus s'intéresser à certaines questions qu'à d'autres. En résumé, les médias ne disent pas ce qu'il faut penser mais à quoi il faut penser.
L'avantage de la prise d'importance des médias est qu'elle a permis d'augmenter le niveau d'information et de connaissance des individus en matière politique. Il y a, avec la télévision et internet, une multiplicité des sources d'information politique, librement disponibles. La politique est bien mieux suivie qu'autrefois, en particulier par les jeunes. La généralisation des médias a de plus permis une certaine désacralisation de la politique. Un regard plus critique lui est porté, au travers notamment des émissions satiriques, très nombreuses et très suives par le grand public.
Les études de sondage, qui ne cessent de se multiplier et de se diversifier, ont elles aussi un impact sur le choix des électeurs. Ainsi, les prévisions des sondages pré-électoraux produiraient deux effets :
⁃ soit une part de l'électorat modifierait ses intentions de vote en faveur du camp du vainqueur présumé (exemple des présidentielles de 1974 ou VGE, en tête dans les sondages, incite les électeurs à se railler massivement de son côté plutôt que de celui de Chaban-Delmas)
⁃ soit l'effet inverse, on voterait à la rescousse des candidats en difficultés dans les sondages (exemple des présidentielles de 1995 quand Chirac, déclassé par Balladur, l'a finalement emporté)
=> On peut donc dire que le comportement de l'électeur est certes influencé par une culture globale de classe mais sa volonté propre, elle-même façonnée par des conditions culturelles et matérielles, joue un rôle indépendant dans son choix de vote. Sans être déterminés, les individus vivent dans des groupes qui les influent et, même s'ils choisissent leur façon d'agir, ils ne le font pas sans interférence de leurs liens sociaux. Ce n'est par exemple pas le fait d'être instituteur qui fait voter à gauche, ou celui d'être patron qui fait voter à droite, mais c'est plutôt l'intériorisation d'un ensemble de croyances, de valeurs et de représentations transmises par le groupe social qui entre en compte.
Comme le soulignent Nonna Mayer et Pascal Perrineau, aucun groupe social n'est politiquement homogène et aucun individu ne se définit par référence à un seul groupe. Il y a ainsi des ouvriers conservateurs et des catholiques de gauche. Les déterminants sociaux n'impliquent pas un déterminisme total, mais des inclinaisons à voter pour tel ou tel parti ou candidat.
Bibliographie :
• BON F., CHEYLAN JP., La France qui vote, Paris, Hachette, Collection Pluriel, 1988, 444p.
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• BRAUD P., Le comportement électoral en France, Paris, Presse Universitaire de France, Collection Sup, Le politique, 1973 235p.
• BRECHON P., Comportements et attitudes politiques, Grenoble, Presse Universitaire de France, Collection Politique en plus, 2006, 189p.
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• MAYER N., PERRINEAU P., Les comportements politiques, Paris, Armand Colin, Collection Cursus, 1992, 160p.
• PERCHERON A., La socialisation politique, Paris, Armand Colin, Collection U, Série sociologie, 1993, 226p.
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