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dimanche 6 novembre 2011

Messali Hadj et le mouvement national algérien avant 1940


Messali Hadj et le mouvement national algérien avant 1940.


Introduction. (2‘)

Au lendemain de la première guerre mondiale, dans diverses colonies françaises, une montée des revendications des colonisés se fait entendre, en partie sur fond de « remerciement » du au rôle des troupes coloniales durant le conflit, avec notamment l’image du tirailleur sénégalais qui est forte dans l’opinion. En métropole, la situation est complexe : le pays a certes remporté le conflit face aux allemands et leurs alliés, mais à quel prix ? Les pertes humaines, entre civils et militaires sont énormes, avec un renouvellement des générations qui s’annonce handicapé par la « génération sacrifiée » au combat. L’économie en pâtit évidemment aussi, avec une économie de guerre et des dépenses qui ont creusé de manière vertigineuse le déficit de l’Etat ; les dégâts matériels sont aussi conséquents, et la reconstruction s’avère nécessaire et difficile. C’est dans ce contexte troublé qu’émerge la personnalité de Messali Hadj. De son vrai nom Ahmed Mesli, Messali nait le 16 mai 1898 à Tlemcen, et est issu d’une famille d’artisans et de cultivateurs ; adepte de la confrérie religieuse des Derkaouas, son éducation est fondée sur le respect des traditions et de l’Islam ; très jeune, il travailla comme apprenti coiffeur, apprenti cordonnier, et enfin dans une usine de tabac, mais regagne l’école française après la mise en application de la loi interdisant le travail des mineurs. C’est dès l’école que son idéal se forge, étant très intéressé par le programme traitant de la Révolution Française et la Justice sociale de la République, qu’il voit pourtant bafouée chaque jour : l’exode massif des familles de Tlemcen en 1911 pour échapper au durcissement des règles de conscription pour la conquête du Maroc, ainsi que les manifestations populaires et l’opposition religieuse à ce projet le marquent énormément, lui dont la famille a fait le choix de rester en ville. En 1916, il quitte l’école française. J’arrête volontairement sa biographie pour l’instant, ayant fait le choix de commencer le vif de mon exposé à son arrivée en France. Au vu de ces différents facteurs, nous allons nous interroger sur quel fût le rôle joué par Messali Hadj et ses mouvements jusqu’en 1940, et quelles furent ces relations avec les mouvances politiques, tant nationalistes que de métropole, avec dans un premier temps son ascension fulgurante aux sommets du nationalisme algérien, puis en seconde partie la période de professionnalisation de ses mouvements entre 1927 et 1933, puis en dernière partie la période de « montagnes russes » allant jusqu’en 1940.






I)               1918-1927 : L’ascension fulgurante aux sommets du nationalisme algérien. (8’)

A)    Carrière militaire et prémices à son installation en métropole. (3’)

Messali Hadj arrive en France pour effectuer son service militaire à la fin de l’hiver 1918 à Bordeaux, et la situation algérienne avait de nouveau beaucoup évolué ces dernières années, en partie de par leur effort de guerre : 173000 algériens furent envoyés au front, et 25000 d’entre eux sont d’ailleurs décédés au combat, de même que 75000 d’entre eux furent envoyés en métropole pour compenser le manque de main d’œuvre dans les usines. Des évènements extérieurs marquent aussi les algériens et Messali : la Révolution d’Octobre en Russie, ou encore la proclamation de Wilson sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Les nombreux algériens envoyés travailler dans les usines de métropole font aussi la connaissance du syndicalisme : par tous ces facteurs, l’Algérie se voit ouvrir de nouveaux horizons pour son avenir. Messali est incorporé à l’armée dans la ville d’Oran puis part en avril à Bordeaux, et est marqué par le contraste entre la riche métropole et la misère de son Algérie : il commence alors à sensibiliser ses partenaires algériens, et s’inscrit à l’université pour apprendre, suit de près les négociations qui mènent à l’armistice le 11 novembre, et s’inquiète pour le sort de l’Empire Ottoman, terre d’Islam battue par les forces alliées à la France : sa peur de voir le monde arabe entièrement à la botte des européens l’empêche de vraiment profiter de la victoire française.

Jusqu’au 28 février 1921, date de la fin de son service militaire, il alterne présence en caserne où il continue d’échanger avec ses frères d’armes algériens, et permissions au pays où la situation le révolte de plus en plus ; sa première interpellation y a d’ailleurs lieu, lorsque dans un café, pour célébrer la nouvelle Turquie indépendante, il grimpe sur une table et s’écrie « Vive Mustapha Kemal Pacha ! » : c’est son premier acte révolutionnaire. Il découvre aussi le journal L’Humanité. Il est également marqué par les élections municipales d’Alger de 1919 qui font suite à la réforme de février 1919 qui d’une part accorde la citoyenneté française à un cercle plus grand d’algériens, bien que restant élitiste et touchant surtout les propriétaires terriens et fonciers, les anciens militaires décorés et les notables pro-français, mais surtout un nouveau corps électoral composé de 421000 algériens. Cela va permettre à l’émir Khaled, petit-fils d’Abd el-Kader de remporter ces élections avec un programme de revendications politiques, comme l’égalité de droits entre fonctionnaires « indigènes » et français ou encore la suppression des pouvoirs disciplinaires des administrateurs et des tribunaux d’exception, mais son élection est annulée par l’administration française et dès aout 1920 les maires obtiennent le retour à la loi sur l’indigénat de juillet 1914. Si Khaled continue de parcourir la région et d’être actif politiquement jusqu’en 1923, Messali Hadj le juge trop consensuel avec le pouvoir en place, demandant juste une plus grande représentation politique et en terme de droits, et l’estime trop détaché du peuple. Son opinion vers l’indépendantisme se forge de plus en plus, et à l’été 1923, il fait le choix de gagner la métropole : il a alors 25 ans.

B)    Arrivée en France et ascension politique fulgurante. (2’30)

Le 13 octobre 1923, il arrive à Paris, au sein d’une diaspora des colonies comptant pas moins de 120000 nord-africains, quasiment tous prolétaires, anciens ouvriers agricoles ou artisans pour la plupart, dont 100000 algériens ; c’est d’ailleurs un des facteurs pour lesquels la pensée indépendantiste va s’ancrer plus tôt et de manière plus radicale chez les algériens que dans les autres régions du Maghreb. Pendant 10 ans, il travailla dans divers endroits, comme une usine de textiles, une de moulage de métaux, livreur pour Lancel, ou, à partir de 1927, marchand ambulant sur les marchés de Nogent sur Marne : ces travaux le satisfaisaient car ils lui laissaient du temps pour mener son activité politique. Leur condition était très dure : ils étaient moins payés, et soumis à la dureté de leur condition de colonisés, mais paradoxalement ils étaient très appréciés des « petites gens » qui les respectaient beaucoup pour leur effort fourni pendant la guerre, tant au front que dans les usines.

Après avoir fréquenté un cercle de petits intellectuels algériens, il se met très vite en contact avec le mouvement ouvrier français, et se rapproche du PCF, de la CGTU et de la IIIème Internationale, marqué par les évènements de 1923 dans la Ruhr, quand les communistes ont appelé à fraterniser avec les ouvriers allemands et que des soldats algériens qui ont refusé de tirer sur eux ont été condamnés à de la prison. Fasciné par leur organisation et par la dureté de certains de leurs mouvements de grèves, Messali se joint à eux, d’autant plus qu’aux élections législatives de mai 1924, un candidat algérien, Hadj Ali Abdelkader, est lancé par le PCF dans un secteur de Paris, et manque de se faire élire à 20 voix près ; quelques semaines auparavant, Messali Hadj le rencontre lors d’un meeting et ils sympathisent tout de suite. C’est aussi à cette époque que l’émir Khaled se rallie au PCF ; le ralliement des ouvriers des colonies s’organise petit à petit, et en décembre 1924 un premier congrès des ouvriers nord-africains se tint, qui met en place un programme de revendications politiques et économiques explicitant l’indépendance des colonies. Selon un rapport de police, près de 8000 « indigènes » sont alors adhérents ou sympathisants du PCF, mais Messali n’en est alors pas adhérent. Il participe également aux comités d’action contre la guerre au Maroc menés par l’extrême-gauche, dont la journée de grève du 12 octobre 1925 se solde par un mort. C’est paradoxalement à ce moment que les relations se tendent entre nationalistes et communistes, les communistes se collant à la nouvelle doctrine de Staline qui passe de l’opposition aux régimes coloniaux à la notion de « socialisme dans un seul pays », délaissant la pensée nationale.


C)    Adhésion à l’Etoile Nord-Africaine et conférence de Bruxelles (1927). (2’30)

C’est en 1926 qu’est créée l’Etoile Nord-Africaine, premier mouvement de tendance nationale et révolutionnaire pour l’Algérie, une polémique existe concernant sa création, car elle fut créée sous le patronage du Komintern, mais les relations se tendant déjà avec les communistes, le noyau dur algérien et musulman tente de limiter leur rôle. La vérité est un peu plus complexe : si elle est effectivement bien gérée et composée par des algériens, elle ne peut se passer des capacités organisationnelles et de l’expérience des communistes pour l’instant. Le PCF prête ses locaux pour les réunions et meetings, fait imprimer les tracts avec les presses de la CGTU ainsi que leur journal, l’Ikdam, et leur offre une aide financière. (Elle serait pour certains, comme Mohamed Guénanèche, un des dirigeants de l’ENA, une résurgence de l’Association de Fraternité Islamique, une association religieuse mise en place par des ouvriers immigrés, mais Messali Hadj contredit ce point dans ses Mémoires, pour lui ce n’est qu’un petit club de notables.) L’organisation est alors dirigée par son ami Hadj Ali Abdelkader, et Messali adhère à cette même période au PCF. Lors de leur première réunion, le 15 mai 1926, le rapport de force entre communistes et non-communistes est palpable, les communistes se justifiant de leur rôle dans la création de l’Etoile pour la diriger, et les non-communistes les trouvant trop autoritaires, comme les dirigeants français qu’ils souhaitent justement combattre. Messali Hadj se trouve entre ces deux mouvements ; de par cette image assez consensuelle, Messali Hadj est nommé secrétaire général de l’Etoile le 2 juillet 1926, son expérience communiste et son excellente image auprès de ses compatriotes le mettant naturellement en avant. Jusqu’en janvier 1927, de meetings en meetings, il s’impose en leader charismatique de par la puissance de sa parole et de ses mots ; il continue en parallèle de travailler, comme dit plus tôt dans l’exposé, et expose également ses idées à ses compagnons de travail.

Ses revendications s’affirment de plus en plus, et en février 1927 se tient à Bruxelles le Congrès anti-impérialiste contre l’oppression coloniale et pour la libération des peuples opprimés, est organisé par la IIIème Internationale. Devant des représentants communistes de nombreux pays, ainsi que de grands chefs indépendantistes comme Nehru pour l’Inde et Mohamed Hatta pour l’Indonésie, ou encore des personnalités comme Albert Einstein, Messali Hadj expose le bilan de la colonisation française en Algérie, puis le programme politique qu’il compte mettre en place au sein de l’ENA, avec des revendications fortes qui furent très applaudies : abolition immédiate du code de l’Indigénat et des mesures d’exception ; amnistie générale pour les emprisonnés, exilés, ou en résidence surveillée pour des raisons politiques, liberté politique, de presse, des syndicats, des associations et de réunion ; mise en place d’un parlement national algérien élu au suffrage universel ; suppression des communes mixtes, remplacées par des assemblées municipales élues au suffrage universel ; instruction obligatoire de l’arabe dans les écoles, ou encore accession de tous les algériens à toutes les fonctions publiques, a égalité de traitement avec les métropolitains. Ce sont parmi les demandes immédiates les plus importantes. Et les revendications politiques sont tout aussi marquantes : pour les principales, indépendance totale de l’Algérie, constitution d’une armée, d’un gouvernement et d’un parlement national, suffrage universel pour tous et langue arabe langue officielle, ou encore confiscation des grandes propriétés terriennes des « conquérants » pour les rendre aux algériens. Son discours fit sensation, et désormais, il est considéré comme un grand dirigeant politique charismatique.




II)             1927-1933 ou la professionnalisation du militantisme. (8’)

A)     L’ENA : structures, doctrine et rapport à la religion. (3’)

L’ENA est structurée sur le modèle du PCF, avec un secrétaire général, ou encore un bureau politique ; elle est encore à cette époque sous tutelle communiste, et même si Hadj en est le dirigeant, les pressions communistes sont fortes comme nous le verront dans la prochaine partie, et même après son émancipation, l’ENA gardera ce système organisationnel. Au niveau des idées, elles ont été exposées dans leur globalité dans la partie précédente, peu de points sont donc à repréciser. Tout d’abord, Hadj est convaincu, et cela fait débat en interne, que l’Algérie doit être une grande puissance agricole avec des fellahs pouvant vivre dignement, et délaissait complètement l’industrie, alors que le mouvement global mondial tend à l’industrialisation. Il souhaite aussi, à terme, créer un grand Etat nord-africain transnational, allant du Maroc aux mandats du Levant pour unir les musulmans au sein d’une grande puissance : l’idée de « conscience nationale arabe » est très présente dans son discours. Messali Hadj n’est pas antisémite et est opposé au fanatisme religieux qu’il juge contreproductif, et a été très marqué par les émeutes de Constantine du 5 aout 1934 menant à la mort de nombreux juifs, conséquence indirecte d’une révolte contre ces « presque-français » qui sont mieux traités de par le décret Crémieux de 1870 relatif à la citoyenneté. Il s’oppose également au fascisme, même si il a pu parfois penser à se rapprocher des fascistes en leur apportant un soutien politique si ceux-ci les aidaient pour leur combat d’indépendance ; si cette réflexion a eu lieu, elle fut brève, Hadj étant par la suite membre du Front Populaire comme on le verra dans la dernière partie, et fut très virulent contre l’envahissement de l’Ethiopie en 1935 par l’Italie mussolinienne, intervenant même auprès de la SDN. De plus, son mouvement se professionnalise aussi de par ses militants : à partir de 1933, les étudiants prennent une part plus prépondérante que les ouvriers et chômeurs, membres « historiques » de l’Etoile et amenant plus de réflexion que de passion dans les débats, avec le ralliement de l’Association des Etudiants nord-africains de France.

Son rapport à la religion est assez nuancé : malgré une éducation dans la confrérie religieuse des Derkaouas, il n’invoque que peu la religion jusqu’en 1933 dans ses discours, lorsqu’il se met à inciter les musulmans à pratiquer leur religion et à l’assumer au grand jour, estimant que c’est un acte de résistance contre la France et leurs missions catholiques qui étouffent l’Islam. L’émergence en 1930 de l’Association des Oulémas Réformistes d’Algérie fondée par Albelhamid Ben Badis, qui prône le retour à la religion pour renforcer l’Algérie avec comme slogan « L’arabe est ma langue, l’Algérie mon pays, l’Islam ma religion », et qui refuse aussi l’assimilation à la France lui offre pendant un temps un allié de important. Il est également proche de Ferhat Abbas, qui milite au sein du Mouvement de la Jeunesse Algérienne et qui créera en 1938 son propre parti, l’Union Populaire algérienne, mais en 1936, Abbas se rapprochant du courant assimilationniste, ils se séparent. Il tente également un rapprochement avec la Ligue de Défense des musulmans nord-africains de Mansouri, mais ils jugent Messali Hadj trop extrémiste. Hadj peine d’ailleurs à rallier les « évolués » et la petite bourgeoisie algérienne qui se satisfait de sa situation et cautionne la présence française.

Malgré cette opposition à la France impérialiste, il n’a rien contre le peuple français : il admire leur histoire et leur caractère libertaire, et apprécie ce pays. Il est d’ailleurs marié à une française qui lui a donné deux enfants.


B)     Conflits avec le PCF et (première) dissolution de l’Etoile Nord-Africaine. (2’30)

Suite au discours de Messali, les tensions entre communistes et nationalistes s’accentuent : le lendemain, L’Humanité ne reprend que peu de choses de son discours, en omettant les principales revendications. Messali Hadj était plutôt un travailleur solitaire, et avec un talent oratoire manifeste, ce qui dérangeait des communistes qui souhaitaient garder la main sur l’Etoile alors que le parti devient de plus en plus indépendant. De plus, son journal, l’Ikdam commence à être expédié et lu directement en Algérie : l’Etoile peut déjà revendiquer plus de 3500 adhérents fin 1927. Les partis politiques traditionnels sentent aussi la vague monter, et envoient de plus en plus d’indicateurs dans les cafés nord-africains pour repérer les militants, et certains cafetiers intimidés refusaient l’entrée aux affiliés à l’Etoile ; le PCF profite de cette période compliquée pour retirer la quasi-totalité de son soutien matériel et financier, poussant Messali Hadj à se retirer du secrétariat général en novembre 1927. Il ne faut pas oublier qu’il était lui-même un travailleur, et le PCF lui coupant une partie de ses aides directes, il est plus pris par son travail, les communistes espérant que à terme, pour pouvoir subvenir avant tout à ses propres besoins, lâche petit à petit son rôle politique.

Mais le mouvement attire de plus en plus de militants, qui portés par la personne de Messali Hadj ne se laissent pas compter des pressions communistes et policières et mettent en avant la lutte pour leur indépendance qui les porte contre vents et marées. La base est de plus en plus présente pour la question de l’indépendance, et Messali va en profiter pour revenir à la charge et reprendre du pouvoir. Tout au long de l’année 1928, il réaffirme sa position de pro-indépendantiste pour l’Algérie, et la scission définitive va avoir lieu le 20 janvier 1929 : lors d’un meeting réunissant plusieurs milliers de personnes, Messali Hadj déclare que « Seule l’indépendance totale donnera satisfaction aux populations opprimées », alors que son vieux compagnon de route Hadj Ali Abdelkader, toujours resté fidèle aux communistes déclare lui que « La seule solution est pour l’instant l’institution d’un parlement indigène ».

L’année 1929 est aussi celle de la dissolution de l’Etoile : le gouvernement voit d’un mauvais œil ce groupe de plus de 4000 adhérents très actifs appelant à l’indépendance de l’Afrique du Nord, et la justice arrive à dissoudre en novembre de cette année le mouvement car « l’Association se proposait bien de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ».

C)     La reconquête puis « l’indépendance ». (2’30)

Durant dix mois, l’Etoile cesse d’exister, et le comportement du PCF les déroute, ils ne savent que faire, et la démoralisation gagne les militants. Les têtes pensantes sont marginalisées, et la base n’a que peu l’habitude de ces organisations pour se gérer elle-même. De plus, avec la crise économique de 1930-1931, plus de 30000 salariés algériens sont renvoyés au pays pour laisser les emplois aux métropolitains, ce qui affaibli la communauté. De plus, les célébrations du centenaire de la colonisation de l’Algérie sont tellement fastueuses que l’opinion publique perd de sa réceptivité concernant les revendications nationalistes. Enfin, les communistes, sous l’impulsion de Moscou, change ses revendications : il est maintenant question d’imposer le socialisme à tout prix, et plus de défendre les colonisés contre les impérialistes, mais de eux aussi les faire passer au communisme, ce qui était déjà quelque peu sous-jacent ; et à partir de 1933 et de l’arrivée de Hitler au pouvoir en Allemagne, c’est surtout la lutte contre les fascismes qui préoccupe Staline.
                 
Dès janvier 1930, Hadj entame l’écriture d’un mémoire à destination de la Société des Nations où il oppose version française officielle et réalité sur le terrain des colonies, en espérant réveiller les consciences pendant cette période de célébration du centenaire de l’Algérie française. Pour faire passer son discours, il fonde El Ouma, La Nation journal héritier de l’Ikdam dissout en même temps que l‘ENA, et le premier numéro parait en octobre 1930. Il continue ainsi de propager ses idées, qui restent les mêmes que celles proclamées lors de la Conférence de Bruxelles, mais le peu de moyens financiers et la répression qu’il subit font que le second numéro du journal ne sortira qu’en septembre 1931. C’est également à cette époque qu’il commence à inclure le religieux dans son discours, en citant notamment Cheikh Abdu, « Le vrai patriotisme dans l’Islam est celui qui se manifeste par l’action », slogan de son journal.

En 1931 et 1932, le PCF tente toujours de court-circuiter le pouvoir de l’ENA, en créant aussi un journal, El Amel, l’Action, et une branche nationaliste communiste, le Parti National Révolutionnaire, dirigé par Maarouf, mais ce sont des échecs cuisants, les journaux ne se vendant pas et les meetings du PNR ne réunissant jamais plus de 60 personnes, l’aura de l’ENA et surtout de Messali Hadj étant extrêmement forte. Lors d’un meeting fin 1932 où Maurice Thorez, chef du PCF rend état de sa visite en Algérie, Messali Hadj et quelques partisans font irruption et sont pris à parti par le service d’ordre que Thorez calme sur le champ en invitant Hadj à faire un discours avant lui ; c’est un succès, la salle comprend son point de vue et son discours apaise les relations avec le PCF ; de plus Thorez fait à la suite un discours plein d’honnêteté où il admet que l’implantation communiste est un échec en Algérie, et l’ENA obtient son autonomie définitive tout en ayant apaisé les liens avec l’ancienne maison-mère.






III)            1933-1940 : Succès, alliances, scissions. (7’)

A)     Messali Hadj et le Front Populaire. (2’)

Messali Hadj a toujours cherché à rallier la masse ouvrière, d’où sa longue route aux côtés du PCF, et même après la scission, il essaie de maintenir de bonnes relations et mettre les algériens, qu’ils soient ouvriers ou pas, derrière ses idées. C’est parfois complexe, comme quand Maarouf, qui est resté sous la bannière PCF le dénonce sans cesse car comme il acquiert petit à petit des soutiens d’algériens « évolués », il estime qu’il va à terme tromper ces ouvriers pour les étouffer avec ses nouveaux amis capitalistes. Cela n’empêche pas l’ENA de suivre l’appel à la grève lancé par le PCF et la CGTU du 12 février 1934, qui est un franc succès tant en métropole qu’en Algérie ; cette manifestation étant aussi un contre-feu à la tristement célèbre journée du 6 février, Messali noue des contacts avec la Ligue des Droits de l’Homme et la SFIO. Dans les semaines qui suivirent, l’Internationale Communiste change sa politique et lance l’ordre de mener des fronts populaires contre le fascisme pour ses branches européennes ; invité à plusieurs reprises à discuter avec Albert Ferrat, le « Monsieur Colonies » du PCF qui souhaite unir l’ENA à leur front contre le fascisme, Messali Hadj s’y lie contre l’assurance que ses idées seront prises en compte, et l’accord d’union tombe le 21 aout 1934. Etant mis en prison peu après, il officialise son adhésion au Front Populaire à sa libération en juin 1935, et il est en tête de cortège pour le 14 juillet avec tous les pontes de la gauche en tenant fièrement un drapeau vert et blanc à croissant rouge, drapeau de l’actuelle Algérie. Hadj se sent revigoré et reprend de plus belle ses diatribes anti-impérialistes, tout en calmant ses ardeurs indépendantistes pour préserver le calme avec le reste du Front : dans un contexte de montée des périls, sa déclaration comme quoi « en cas de conflit mondial, j’invite mes compatriotes à retourner leurs armes contre leurs dominateurs respectifs » ne passe que moyennement. La répression contre ses partisans reprend d’ailleurs très violemment après sa sortie de prison, et il doit lui-même s’exiler à Genève, et est autorisé à rentrer en juin 1936, après que le Front Populaire qui a gagné les élections de mai l’ai amnistié.
                 
A son retour, l’ENA reprend des couleurs : il est d’ailleurs important de signaler que la vigueur de l’ENA suit de près l’activité de son leader, et Benjamin Stora parle d’ailleurs de « Messalisme » tant son mouvement et ses militants dépendent de l’image de leur chef charismatique.
                 

B)     Cassure avec le Front Populaire et rebond avec le PPA ? (3’)

La cassure intervient quasi dès l’arrivée au pouvoir du Front Populaire, avec le projet Blum-Violette : ce projet consistait à donner à 20000 algériens la citoyenneté française. Si les « Elus » étaient heureux, les oulémas sont circonspects, et Hadj s’y oppose catégoriquement, qui pour lui est un facteur de division de la population quand lui cherche à créer une unité nationale. Une manifestation réunissant entre 6000 et 30000 personnes se déroule le 14 juillet derrière Messali Hadj pour dire non à ce projet, et pour « Libérez le monde arabe », Hadj ne s’occupant pas que de son peuple mais de tous les colonisés arabes du Maroc au Levant, en espérant à terme fonder un grand état islamique uni. Il réunit ses collègues militants Abbas, Ben Badis et Tahrat pour leur exposer son point de vue, mais ils se contentent pour l’instant de cette avancée, et Abbas se retrouve isolé. Il fait alors le choix de quitter la métropole pour aller prêcher sa parole directement en Algérie.

                  Dès son arrivée le 2 aout, il est conduit par des partisans à un grand meeting dans le stade d’Alger, pourtant meeting du Congrès Musulman, mouvance avec laquelle Hadj n’avait pas d’affinités. Il est autorisé à prendre la parole, et devant 20000 personnes, il expose son programme et promeut l’ENA, et termine en prenant au sol une poignée de terre, et levant son poing, déclare : « Cette terre ne se vend pas, nous en sommes les héritiers ! On ne vend pas son pays ! On n’assimile pas son pays ! » Il est acclamé et porté en triomphe pendant de longues minutes, sa réputation en Algérie est faite.
                 
Mais cette même année, des fissures apparaissent dans l’Etoile. En effet, le comité directeur commence pour certains à reprocher à Messali la trop grande personnification du mouvement. Il y a également débat sur l’attitude à adopter concernant l’aide ou pas de leurs « frères » marocains, pris de plein fouet par la guerre civile espagnole, avec un enjeu politique : Belkacem et Yehiaoui reprochent à Amar de s’être opposés à l’envoi de milices nord-africaines au soutien du Front Populaire espagnol, et ce sont les deux tendances dures qui se battent en interne : ceux qui veulent couper tous les ponts avec le Front Populaire de par la « trahison » du projet Blum-Violette, et ceux qui souhaitent suivre cette voie de réformes progressives. Au Congrès de décembre 1936, le conflit éclate en public, Amar et Yehiaoui attaquant Messali directement, se mettant la salle à dos, et Yehiaoui ne fut pas réélu au comité directeur. Le pouvoir en place en profite pour réattaquer l’ENA, un entre répression judiciaire et propagande des journaux, l’image de l’ENA et de Messali est broyée. Ils tentent de se rapprocher des oulémas de Ben Badis, mais ils essuient un refus poli, les oulémas étant eux aussi partisans de l’assimilation. Le 26 janvier 1937, l’ENA est dissoute sur décision de justice en application de la loi sur les milices et ligues paramilitaires.

Hadj recrée aussitôt un nouveau parti, le PPA, Parti du Peuple Algérien, qu’il déclare conformément à la loi de 1901 sur les associations pour la rendre légale, avec à ses côtés de nouvelles têtes, comme Filali, Abdelkrim et Grandi. En termes d’organisation, d’idées et de sympathisants, le PPA est très similaire à l’ENA, dont il a d’ailleurs pu conserver le journal El Ouma, qui n’est lui pas dissout, à une exception près, et pas des moindres : l’idée « d’intégration au système méditerranéen français » n’est pas rejetée, si les français respectent les droits des algériens. Il prône toujours sa réforme agraire comme une priorité, qui divise néanmoins, certains de ses alliés souhaitant aussi industrialiser le pays quand Hadj se contenterait d’une grande puissance agricole.


C)     Un leader charismatique dans l’adversité. (2’)

Devant la force de dénigrement du PCA nouvellement créé à son encontre, il rentre en Algérie et voit un pays où les difficultés se sont aggravées : crise des rendements et prix agricoles, analphabétisme qui gagne encore du terrain, chômage fort, soit une paupérisation globale du pays. Diverses manifestations ont d’ailleurs été réprimées par le Front Populaire dans le sang, avec par exemple 5 morts lors d’une manifestation de mineurs à Kouif. Les municipales d’Alger de l’été 1937 voient une poussée des candidats du PPA, sans pour autant pouvoir se faire élire. Durant cet été là, combattant les divisions entre mouvances algériennes, de nombreuses manifestations menées par le PPA sont organisées, avec à chaque fois en tête de cortège le drapeau vert et blanc avec croissant rouge, symbole de l’indépendance algérienne. Anecdote, ce drapeau, qui est aujourd’hui encore le drapeau de l’Algérie, a été créé et tissé par la femme de Messali Hadj, une française.

Suite à ces évènements, il fait l’unanimité contre lui, d’une part les autres mouvements nationaux algériens qui s’unissent contre Hadj qui fait trop d’ombre à leurs mouvements, et aussi par le pouvoir français qui l’arrête et le fait enfermer pour reformation de ligue dissoute ; il fut condamné en novembre 1937 à deux ans de prison, et continue de diriger son mouvement depuis sa geôle. Les municipales d’octobre 1938 sont un succès majeur pour le PPA qui a de nombreux élus, mais la préfecture annula l’élection. Les autres mouvements nationalistes, de plus en plus agacés, fondent deux grands partis : le Rassemblement franco-musulman algérien avec les oulémas, des syndicalistes et anciens combattants, et l’Union Populaire Algérienne fondée par Ferhat Abbas. C’est néanmoins le PPA qui rameute le plus la foule, avec une manifestation du 14 juillet 1939, peu de temps avant la libération de Hadj, qui réunit 25000 personnes à Alger, hurlant les slogans et les revendications du programme du PPA. Les municipales de 1939 sont une nouvelle victoire pour les candidats du PPA malgré la nouvelle annulation de l’élection. Avant la guerre, le PPA est tout puissant, mais de ce fait, est interdit trois jours avant l’ouverture du conflit et Hadj remis en prison.




Conclusion. (2’30)

Messali Hadj est donc un personnage central du nationalisme algérien dans l’entre-deux guerres : au travers d’une activité personnelle et organisationnelle sans interruption, il dépoussiéra les revendications des nationalistes en étant le premier à demander ouvertement l’indépendance ; son discours de 1927 à Bruxelles, devant un parterre de leaders du futur Tiers-monde lui a offert un prestige immense, et la lutte des partis et gouvernements de la métropole contre lui, entre arrestations et dissolutions de ses partis montre bien à quel point il était jugé dangereux et subversif pour le maintien d’une Algérie française, même si il fut parfois aux côtés du PCF et du Front Populaire, qui l’ont néanmoins aussi attaqué à de nombreuses reprises, n’altérant pas son désir d’indépendance pour son pays. Ses relations avec les autres mouvances nationalistes sont aussi difficiles, parfois effrayées par « l’aura messalique ». Durant la guerre, il refuse la collaboration avec Vichy et se voit condamné à seize ans de travaux forcés et vingt ans d’interdiction de séjour; en avril 1943, cinq mois après le débarquement allié en Afrique du Nord, il est libéré mais néanmoins astreint à résidence. Il se rapproche de Ferhat Abbas et de ses Amis du Manifeste et de la Liberté, et malgré son interdiction de séjour, continue de traverser le pays en 1946 pendant la période des élections pour sensibiliser le peuple à la question de l’indépendance qu’il n’a jamais écartée. Il fonde un nouveau mouvement fin 1946, le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), mais étant toujours assigné à résidence en France il perd petit à petit la main dessus, et de fil en aiguille des dissensions se font et amènent l’insurrection du 1er Novembre 1954 par un noyau de militant qui vont faire scission pour fonder le FLN. Les différentes mouvances nationalistes vont s’y rallier au fur et à mesure, et lorsque Messali est libéré en janvier 1959, il n’a plus aucune influence politique, le FLN ayant broyé son image ; il ne participe d’ailleurs pas aux accords d’Evian, et reste en France jusqu’à sa mort en 1974, avant d’être inhumé en Algérie, où l’histoire officielle mise en place par le FLN va l’oublier, comme d’autres pourtant glorieux compagnons de route du nationalisme algérien comme Ferhat Abbas, le FLN et ses héritiers se mettant grandement en avant. Ce n’est que depuis une dizaine d’années que les travaux des historiens ont réhabilité sa mémoire et son action, que ce soit en France comme en Algérie : ce n’est que justice pour un homme considéré par Habib Bourguiba comme le père du nationalisme nord-africain.

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